Des salaires pour les étudiants
Des salaires pour les étudiants a été écrit et publié anonymement par des activistes liés au journal Zerowork durant les grèves étudiantes du Massachusetts et de New York de l’automne 1975. Profondément infuencés par l’analyse du capitalisme faite par la campagne pour le salaire ménager et liés à des luttes comme le Black Power, la resistance anticoloniale et les mouvements anti-guerre, les auteurs cherchaient à attaquer la fonction de l’université telle qu’elle avait été conçue par le capital et son État. La brochure débat des stratégies du mouvement étudiant de l’époque et dénonce le régime de travail non payé forcé imposé chaque jour à des millions d’étudiants. Des salaires pour les étudiants était un afront à une néolibéralisation de l’université qui n’en était alors qu’à ses débuts. Quarante ans plus tard, le très proftable business de l’éducation continue non seulement d’exploiter le travail non payé des étudiants mais désormais le leur fait payer. Aujourd’hui, alors que nous sommes embourbés jusqu’au cou dans la dette étudiante et que les étudiants à travers le monde refusent de continuer à collaborer, nous rendons de nouveau disponible ce texte « pour l’éducation contre l’éducation ».
Des salaires pour les étudiants
Un pamphlet sous la forme d’un livre bleu, 1975
L’usine de discipline mentale en 1965
« C’est le matin. Le présentateur météo annonce que le jour s’est levé (ou la pluie, la neige, les nuages . . . c’est selon) dans le ciel. Et comme une horloge mécanique, la Terre refait le tour du Soleil en tic-tac réguliers. » Untel appartient à l’unité 12 de l’usine de discipline mentale d’Elm City. Il est Notre Exemple du jour. Untel est ordinaire, ou l’était, jusqu’à ce qu’il Dérape. Il était assis dans Notre salle des besoins corporels avec d’autres produits en série, ses collègues, un crayon dans la main droite, un papier sur la table, l’esprit au travail, occupé. Quelques précisions sur le contexte, d’ailleurs. Le prétexte à l’origine de Notre salle des besoins corporels était de produire et distribuer une nourriture qui bonifierait nos enseignements disciplinaires par une récompense physique et une satisfaction partielle. Mais elle sert maintenant de lieu de rassemblement aux Untels, qui n’ont rien de plus important à l’agenda. Ici on leur apprend l’obéissance, une part très, très importante de la discipline mentale générale. Mais revenons à l’Untel.
Il allait Bien jusqu’à ce qu’il ait l’audace de se lever, d’aller directement à Notre fontaine d’eau et d’avaler deux énormes gorgées, emplissant complètement sa bouche et tarissant ainsi sa soif à nos dépens. Voyons, Vous avez tous été éduqués pour vous rendre compte que ce n’est pas la raison d’être de Nos fontaines d’eau. Vous avez été programmés pour comprendre qu’elles servent de tentation disciplinaire et participent en cela, et en cela uniquement, à Notre Plan. Il vous faut maîtriser votre soif, contrairement à Untel. Il est mauvais, mauvais, mauvais. Un de Nos superviseurs a dû le faire escorter jusqu’au chirurgien, qui lui a immédiatement cousu les lèvres. Certains d’entre Nous pensons que la punition d’Untel a été trop peu sévère pour un acte de désobéissance aussi honteux. Mais nous croyons encore à la clémence. Un Principe est un Principe, mais que vaut un principe si nous ignorons l’humain ?
Étudiez le sens de ceci pour le cours de demain.
(Écrit dans un lycée par un étudiant du secondaire.)
Qu’est-ce que le travail scolaire ?
Aller à l’école, être un étudiant, c’est un travail. On le nomme travail scolaire, bien qu’il ne soit pas considéré usuellement comme un vrai travail puisque l’on ne reçoit aucun salaire pour l’accomplir. Cela ne veut pas dire que le travail scolaire n’est pas un travail, mais plutôt qu’ils nous ont appris à croire que l’on ne travaille vraiment que lorsqu’on perçoit un salaire. Le travail scolaire se compose d’une grande diversité de tâches d’intensités variées, combinant travail qualifié et non qualifié. Par exemple : il nous faut apprendre à rester en classe, calmement assis pour de longs moments sans déranger. Il nous faut écouter attentivement et tenter de mémoriser ce qui nous est présenté. Il nous faut obéir aux professeurs. À l’occasion, nous acquérons quelques compétences techniques qui nous rendent plus productifs lorsque nous travaillons hors de l’école à des boulots qui les exigent. La majeure partie de notre temps, toutefois, nous le passons à exercer quantités de travaux non qualifiés. La caractéristique partagée par l’ensemble des tâches spécifiques requises par le travail scolaire est la Discipline — c’est-à-dire, le travail forcé. Parfois on nous discipline, ce qui veut dire que les autres (des professeurs, des directeurs et des inspecteurs) nous forcent à travailler. D’autres fois nous nous autodisciplinons, ce qui veut dire que nous nous forçons nous-mêmes au travail scolaire. Il n’est pas étonnant que les différentes catégories de travail scolaire aient été communément nommées « Disciplines ». Il est évidemment moins cher et plus avantageux pour le Capital que nous nous disciplinions nous-mêmes. Cela lui évite d’avoir à payer pour des professeurs, directeurs, et gardiens qui, étant des travailleurs salariés, doivent être rémunérés. En tant qu’étudiants auto-disciplinés, nous accomplissons la double-tâche d’effectuer le travail scolaire et de nous obliger à le faire. Voilà pourquoi les directeurs d’école accordent autant d’attention aux aspects auto-disciplinaires de l’école, tout en tentant de garder les coûts de la discipline au minimum. Comme toutes les institutions capitalistes, les écoles sont des usines. Les notes et les examens sont des manières de mesurer notre productivité à l’intérieur de l’école-usine. On ne nous forme pas seulement à atteindre notre future « position sociale », on nous programme également à prendre la « place appropriée » pour nous. L’école-usine est un échelon essentiel dans le processus de sélection qui destinera certains à balayer les rues et d’autres à superviser ceux qui balaient. Le travail scolaire peut aussi inclure un type de connaissance que les étudiants trouvent utile. Cependant, cet aspect est strictement subordonné à l’intérêt le plus immédiat du Capital : la discipline de la classe ouvrière. Parce qu’au final, quel bénéfice y a-t-il pour le Capital qu’un ingénieur parle chinois et puisse résoudre des équations différentielles s’il ne se présente jamais au travail ?
Pourquoi le travail scolaire ?
La plupart des économistes sont d’accord : « Le travail scolaire est autant un bien de consommation qu’un investissement. » Ainsi, leur réponse à la question de la raison d’être du travail scolaire est que les études possèdent cette merveilleuse double-qualité. Vous investissez en vous de telle façon que vous pouvez vous attendre à obtenir une rémunération élevée en travaillant, et en plus c’est amusant ! Nous sommes bien loin des jours où investir signifiait s’abstenir, mais peut-on vraiment prendre ces foutaises au sérieux ? Considérons, comme les économistes, qu’un bien de consommation est quelque chose dont on peut profiter, qui nous apporte joie et satisfaction, alors tous ceux qui voient en l’école un « bien » de consommation doivent plaisanter. La pression constante pour terminer les tâches, le rouleau compresseur des horaires, les absurdes nuits blanches passées à étudier pour des examens, et tous les autres mécanismes d’auto-discipline tuent dans l’oeuf toute possibilité d’amusement. C’est comme dire qu’aller en prison est un bien de consommation, parce qu’il est réjouissant d’en sortir ! Certains diront que l’on peut avoir un peu de plaisir à aller à l’école ; bien sûr, mais ce n’est pas dans l’éducation qu’on le trouve. Au contraire, c’est la lutte contre cette éducation qui est source de jouissance. Ce sont les expéditions que l’on entreprend pour s’échapper des salles de classe, les histoires d’amour qui sont si divertissantes, les conversations interminables dans les bars, les manifestations qui ferment l’école, les livres qui n’étaient pas à lire et les livres au programme, lus au mauvais moment : tout ce que nous faisons pour ne pas être éduqués.
Ainsi, du point de vue de la consommation, la conclusion est à l’exact opposé de celles des économistes. Qu’en est-il du côté de « l’investissement » ? Tout au long des années 1960, professeurs d’économie, banquiers, « conseillers » s’accordaient : l’école était un investissement personnel avantageux. Il s’agissait de faire de soi une petite entreprise, un General Motors en miniature, afin d’investir dans sa propre personne en allant à l’école, de la même manière qu’une entreprise achète une machine afin d’augmenter ses bénéfices, en se basant sur le principe suivant : il faut dépenser de l’argent (investir) pour faire de l’argent. Celui qui parvenait à rassembler l’argent (et le courage) d’aller à l’école — en obtenant un prêt, un second boulot, ou en faisant payer ses parents — pouvait s’attendre à faire fructifier cet argent, puisque l’augmentation de son niveau d’éducation lui permettrait d’obtenir un boulot mieux payé à l’avenir. À l’apogée de ce qu’ils appelaient alors la « révolution du capital humain », les économistes les plus réputés considéraient que l’on obtenait un meilleur retour en investissant dans son éducation que dans des actions de GM. Un capitalisme pour la classe ouvrière — vengeance en sus ! En plus du caractère un peu répugnant de ce « point de vue de l’investisseur » — après tout, si je suis une entreprise, une partie de moi sera un travailleur et l’autre, le patron qui dirige ce travailleur — on peut s’interroger pour savoir s’il est bien vrai que l’on fait plus d’argent à long terme en allant à l’école. Dans les années 1960, tout le monde nous l’assurait, mais en ces années 1970, « dominées par la crise », on n’est plus sûrs de rien. Les autorités disent maintenant que leurs analyses étaient erronées, qu’il n’y a pas de retour garanti pour un tel investissement dans soi-même. Il fallait s’y attendre — nous ne sommes plus d’aussi bons générateurs de profit que GM ! Au mieux, elles entrevoient maintenant une augmentation hypothétique de ce qu’elles nomment le revenu « psychique », puisqu’une meilleure éducation permet de mettre la main sur un « meilleur » boulot — bien que ce ne soit pas en terme de salaire. Mais même cela n’est pas garanti, d’autant moins que tous les « bons » boulots « décents » sont en passe de devenir incertains, plus ardus, voire dangereux — enseigner, par exemple. Il semblerait que les étudiants soient une erreur de planification. Les professeurs « socialistes » et les étudiants « révolutionnaires » sont devenus les plus ardents défenseurs de l’université publique contre les « coupes budgétaires » et autres mesures du même acabit. Pourquoi ? On peut le résumer comme suit : l’éducation permet à chacun d’analyser plus finement sa situation sociale — en un mot, l’éducation rend plus conscient. Puisque les universités publiques ouvrent la voie au développement d’une classe ouvrière hautement éduquée, elles permettent à la classe ouvrière d’acquérir une conscience de classe ; de plus, une classe ouvrière plus consciente portera moins d’attention aux simples revendications « économiques » — plus d’argent pour moins de travail — et s’attellera plutôt à la tâche politique qu’est la « construction du socialisme ».
Cette logique fournit à la Gauche à la fois une explication de la crise universitaire — le capital a peur de cette classe ouvrière très conscientisée que l’université commencerait à engendrer — et une revendication : pas moins, mais plus de travail scolaire ! C’est donc au nom de la conscience politique et du socialisme que ces gauchistes intensifient le travail scolaire (qui n’est rien d’autre qu’un travail sans salaire) et désapprouvent les revendications étudiantes prônant l’inverse, y voyant une régression capitaliste. Alors même que toutes les justifications habituelles du travail gratuit effectué à l’école sont révélées au grand jour, la Gauche s’empare du moment comme d’une occasion de sortir la classe ouvrière de son sommeil « matérialiste » et de la mener vers sa mission la plus élevée : la construction de la société socialiste. Mais la Gauche s’embourbe dans cette vieille question posée à d’anciens esprits éclairés de la classe ouvrière : qui éduquera les éducateurs ? Puisque la Gauche ne part pas de ce qui est évident — le travail scolaire est un travail non payé — tous ses efforts conduisent à plus de travail non payé pour le capital et à plus d’exploitation. Toutes ses tentatives d’élever la conscience de classe continuent de fermer les yeux au contrôle qu’exerce le capital sur son propre terrain. Ainsi, la Gauche finit par soutenir systèmatiquement les efforts du capital en vue d’intensifier le travail, en rationalisant et disciplinant la classe ouvrière. La « construction du socialisme » devient un simple mécanisme supplémentaire pour extraire davantage de travail gratuit au service du capital. Ainsi, la justification du caractère gratuit du travail scolaire par le Capital et la Gauche s’écroule tout simplement.
Les étudiants sont des travailleurs non payés
Les étudiants appartiennent à la classe ouvrière. Plus précisément, nous appartenons à cette partie de la classe ouvrière qui n’est pas salariée (non payée). Notre absence de rémunération nous condamne à vivre pauvres, dépendants et surchargés de travail. Mais, pire que tout, elle nous prive du pouvoir que le salaire confère dans notre rapport de force avec le capital. Sans salaire, nous sommes condamnés à nous contenter de peu. Nous devons survivre avec ce que d’aucuns ne pourraient tolérer. Les seuls logements que nous pouvons nous 163 permettre de louer sont insalubres et surpeuplés. La nourriture que nous mangeons, que nous devons manger, est la nourriture industrielle insipide des marques les moins chères. Nos habits et nos loisirs sont standardisés et fades. Nous vivons à l’évidence dans la pauvreté. Puisque nous sommes généralement non payés et que nous devons tout de même vivre, il nous faut trouver de l’argent ailleurs — en étant dépendant de quelqu’un qui reçoit, lui, un salaire. Pour certains étudiants, les dépenses nécessaires à la survie ainsi que les frais de scolarité sont assumés, au moins en partie, par un parent attentionné. Mais la relation de dépendance à nos parents et autres bienfaiteurs qui découle de notre statut d’étudiants non payés nous laisse impuissants. De plus, lorsque une famille entière se sacrifie — la mère prend un deuxième travail et le père s’épuise — pour payer les frais scolaires, nos parents perdent des forces pour leur propre lutte contre le travail tandis que la pression pour que nous acceptions le travail scolaire s’accentue. Même si nous travaillons autant que les salariés, notre situation nous rend dépendants d’eux ; en effet, à l’exception de ces étudiants qui reçoivent un salaire (dans l’armée, dans la prison « avant-gardiste » de Lompoc en Californie, dans les programmes de formation privée des grandes entreprises, dans la formation « Manpower »), la plupart des étudiants ne touchent aucun salaire pour leur travail scolaire. Pour ceux d’entre nous qui ne reçoivent aucune aide, ne pas avoir de salaire signifie devoir travailler en dehors de l’école. Et, comme le marché du travail est saturé d’étudiants à la recherche de ce type d’emplois, le capital impose les salaires les plus bas et engendre des profits à la sueur de nos fronts. En conséquence, nous travaillons encore plus, et nous cumulons les emplois. Puisque notre travail scolaire n’est pas payé, nous travaillons durant la majorité des soi-disant vacances d’été. Lorsque nous prenons un peu de vacances, nous n’avons de toutes façons pas les moyens d’en profiter. L’absurdité de cette situation est d’autant plus amplifiée par les standards de productivité très élevés qui nous sont constamment imposés en tant qu’étudiants (les examens, les QCM, les dissertations, etc.) et par le fait qu’on nous programme à nous en imposer encore plus à nous-mêmes (crédits scolaires hors programme, lectures et réflexions supplémentaires pour nos cours — pas pour nous –, stages en entreprise, soutien scolaire, etc.). D’un côté, nous devons travailler pour rien et, de l’autre, nous devons travailler pour presque rien. Bien sûr, on nous dit que l’avenir nous vaudra tous ces efforts. On nous dit qu’un travail passionnant nous attend, avec un gros salaire et une secrétaire en bonus. Nous ne travaillons pas gratuitement en vain. Mais nous savons bien, avant de sortir de cette usine en sautillant de joie, qu’il n’y a pour nous d’autres perspectives que celle d’un boulot déprimant de réceptionniste à l’hôtel Holiday Inn du coin ou, au mieux, de secrétaire en notre lieu de travail précédent, l’université. En réalité, la situation actuelle nous montre que certains étudiants commencent à être payés pour leur travail scolaire:
- Forces armées : le ROTC (Reserve Officers
Training Corps) paye 100 $ par mois plus les
frais de scolarité ; - certaines entreprises payent leurs employés
lorsqu’ils suivent des cours du soir ou qu’ils
poursuivent leurs études afin obtenir un diplôme
plus élevé ; - la prison de Lompoc paye des prisonniers
pour leur travail scolaire à l’université de
Californie ; - les clients de la « Formation Manpower »
touchent des bourses pendant leur
formation ; - les bénéficiaires de la sécurité sociale ;
- les étudiants boursiers (BEOG)
- les vétérans de la guerre du Vietnam.
Des salaires pour les étudiants
Nous en avons assez de travailler gratuitement.
Nous exigeons immédiatement de l’argent pour notre travail scolaire.
Nous devons obliger le capital, qui tire profit de notre travail, à payer pour notre travail scolaire. Alors seulement nous ne dépendrons plus, pour notre survie, des aides financières, de nos parents, d’un deuxième ou d’un troisième emploi, ou encore de celui que nous occupons durant les vacances d’été. Nous gagnons déjà un salaire ; il nous faut maintenant le toucher. Voilà notre seul moyen de nous saisir d’un plus grand pouvoir dans nos négociations avec le capital.
Nous pouvons faire beaucoup avec cet argent. Premièrement, nous n’aurons pas à travailler autant, puisque le « besoin de travailler » à d’autres emplois disparaîtra. Deuxièmement, nous jouirons immédiatement d’un niveau de vie plus élevé puisque nous aurons plus d’argent à dépenser dans notre temps libre. Enfin, nous ferons augmenter le salaire moyen pour l’ensemble des secteurs présentement affectés par la présence des travailleurs sous payés que nous sommes.
En prenant congé de notre travail scolaire afin d’exiger des salaires pour les étudiants, nous pensons et agissons contre le travail que nous accomplissons. Cela nous met aussi dans une meilleure position pour obtenir cet argent.
QU’ON EN FINISSE AVEC LE TRAVAIL SCOLAIRE NON PAYÉ !