Étranger.ère au travail étudiant

La première moitié du mandat du Parti libéral du Québec a été particulièrement marquée par les mesures d’austérité, visant à compresser les dépenses de l’État au nom de l’équilibre budgétaire, en suivant la tendance des gouvernements précédents. En plus des conséquences négatives sur les conditions de travail dans la fonction publique et sur l’accès aux services sociaux, ces mesures ont rendu les conditions de vie de la population étudiante de plus en plus difficiles. C’est dans ce contexte politico-économique qu’au début de l’année 2016, le Syndicat étudiant du Cégep Marie-Victorin (SECMV) s’est doté, lors d’une assemblée générale, d’un mandat de campagne sur le travail étudiant.

Cette campagne en est une de rupture : elle vise à remettre les pendules à l’heure dans le mouvement étudiant québécois. Il s’agit d’une tentative de remodelage de la vision de l’étudiant.e sur laquelle repose le syndicalisme étudiant d’ici, et ce, en effectuant une mise à jour du premier article de la fameuse charte de Grenoble de 1946, qui stipulait qu’ils et elles sont de « jeunes travailleurs intellectuels »¹. La campagne du SECMV aspire au contraire à se débarrasser de l’étiquette « jeunesse » attribuée aux étudiant.es parce que, d’une part, cette étiquette est incompatible avec l’éducation permanente et que, d’autre part, elle est infantilisante. La campagne remet aussi au goût du jour la conception des études comme travail plutôt que comme service. Cette nouvelle vision change la donne de manière considérable. Elle est même le nerf de la campagne sur le travail étudiant : revendiquer la reconnaissance du travail étudiant via le salariat. Cela a pour but de permettre à l’ensemble des étudiant.es, peu importe leur âge, d’éviter de mauvaises conditions de travail (travail à temps partiel, travail au noir, McJobs, etc.) et, surtout, qu’ils et elles puissent étudier dans des conditions favorables. La campagne du SECMV ne s’arrête toutefois pas là : elle revendique aussi une reconnaissance équitable pour les personnes défavorisées, racisées, handicapées et celles qui sont issues des communautés LGBTQIIAA+.

Malgré les efforts d’inclusion de la campagne du SECMV, un groupe d’étudiant.es est resté dans l’oubli encore une fois : les étudiant.es de l’international. Ils et elles ne sont mentionné.es nulle part dans cette campagne alors que les revendications sur le salariat étudiant sont au coeur de leurs réalités. Ce n’est pas un fait nouveau : le mouvement étudiant a de la difficulté à rejoindre ce groupe, puisque très peu de ces étudiant.es gravitent autour des associations, ce qui a pour conséquence que les revendications sont rarement en phase avec leur problématique. On peut d’ailleurs facilement constater que la diffusion d’informations quant aux luttes et revendications cible rarement ce groupe. Le passage très court de certain.es au Québec, le temps consacré aux études et leur statut précaire restreint par leur visa n’ont évidemment rien pour aider. On peut enfin souligner que le syndicalisme étudiant n’est parfois même pas présent dans certaines régions du monde, ce qui gêne l’appréciation des étudiant.es internationaux relativement au poids politique des mouvements étudiants.

Des efforts d’envergure devraient donc être mis dans la mobilisation des étudiant.es de l’international, d’autant plus que la situation tend à s’aggraver pour une grande partie d’entre elles et eux. En effet, au niveau universitaire, près de 85% des étudiant.es de l’international s’inquiètent quant à leur capacité de payer les coûts liés aux études comme les droits de scolarité et les livres; 83% sont préoccupé.es par le paiement de leur loyer et 79% peinent à combler leurs besoins de base de la vie quotidienne comme la nourriture, les vêtements et le transport². Bien évidemment, l’ensemble de ces coûts tendent à augmenter³. Si la vie coûte cher pour les étudiant.es québécois.es, c’est d’autant plus vrai pour les étudiant.es de l’international avec des frais de scolarité beaucoup plus élevés et des frais d’assurance privée obligatoire, et ce, sans pour autant qu’ils et elles aient accès à l’aide financière aux études.

Même les étudiant.es français.es, qui bénéficiaient depuis 1978 et jusqu’à encore récemment d’une entente spéciale entre les États québécois et français, ont vu leur situation se fragiliser d’un coup sec. Alors qu’autrefois ils et elles pouvaient payer les mêmes droits de scolarité que les étudiant.es québécois.es (et les étudiant.es d’ici obtenaient la contrepartie en France), la rupture de cet accord bilatéral en mars 2015 a eu pour conséquence d’élever de trois fois leurs frais de scolarité. Sans surprise, cette hausse a réduit considérablement le nombre d’étudiant.es provenant de France⁴. Les études au Québec constituaient jusqu’alors une bouée de secours pour une bonne partie de la population française, pays où le chômage chez les jeunes est très élevé et où, malgré la « supposée » gratuité scolaire, le système d’éducation reste élitiste et à deux vitesses, puisque les meilleures écoles demeurent inaccessibles pour bon nombre en raison de leurs coûts d’admission.

Pour survivre, les étudiant.es de l’international s’endettent auprès de leurs familles et ami.es, ou tentent leur « chance » sur le marché du travail, qui leur est difficilement accessible. Parfois, elles et ils se trouvent un travail sur le campus, avec une limitation quant au nombre d’heures; parfois, elles et ils font la demande pour un permis de travail hors campus, permis généralement difficile à obtenir. Évidemment, plusieurs se tournent vers des emplois payés sous la table pour joindre les deux bouts, sous le salaire minimum et sans aucune protection légale.

Il n’est pas difficile de faire le pont entre la situation particulière de ces étudiant.es et la revendication du salariat étudiant. En effet, considérer les étudiant.es de l’international comme des bénéficiaires justifie de les soumettre à des frais et à des conditions différenciés, cause majeure de la pauvreté dans laquelle la très forte majorité d’entre elles et eux se trouvent. L’argument selon lequel « les travailleurs.euses du Québec n’ont pas les moyens de payer pour l’éducation des étudiant.es du monde entier sans garantie que ces dernier.ères ne contribuent socialement et économiquement ici une fois les études terminées » ne tient plus la route du moment que l’on reconnaît la production effectuée par celles-ci et ceux-ci pendant leurs études. Cet argument représente d’ailleurs un blocage majeur de la revendication en faveur de la gratuité scolaire pour toutes et tous, même à l’intérieur de l’ASSÉ.

En considérant les études comme un travail, on change carrément de paradigme. Comment justifier que des travailleurs et travailleuses de l’international soient moins rémunéré.es pour l’accomplissement d’un travail que leurs homologues qui ont la citoyenneté canadienne et qui résident au Québec? Bien entendu, il s’agit d’une lutte syndicale de nature semblable à celle de l’équité salariale entre les hommes et les femmes (à compétences égales, salaire égal), lutte que la plupart des gens considèrent comme tout à fait légitime de nos jours. La reconnaissance des études comme un travail permettrait donc aux étudiant.es de l’international de sortir d’une condition de pauvreté extrême.

Le visa d’étude est vu comme une faveur qu’on demande au gouvernement, un service qu’on obtient, tandis qu’un visa de travail est quelque chose que l’on mérite de par ses compétences. En quoi la situation d’étudiant.e de l’international doit-elle obligatoirement rimer avec mauvaises conditions de vie? Si les études sont considérées comme un réel travail, visa d’étude et visa de travail devraient permettre la même liberté. Au final, il ne devrait pas y avoir de distinction, et on retrouverait alors tout simplement un visa temporaire; le temps de séjour serait bien la seule chose qui pourrait les différencier, tant et aussi longtemps qu’il y aura des frontières.

La volonté de remédier à l’oubli des étudiant.es de l’international dans le lancement initial de la campagne du SECMV témoigne que la lutte sur le salariat étudiant n’en est qu’à ses premiers pas et qu’elle est toujours à construire. La multiplication des points de vue et des expériences est donc essentielle pour mener à bien et à terme une lutte qui vise à subvertir le rapport aux études et au travail. Il sera primordial, autant pour le Comité unitaire sur le travail étudiant de Marie-Victorin (CUTE-MV) que pour les autres associations étudiantes et groupes autonomes qui voudront contribuer à la campagne sur le travail étudiant, de prendre réellement en considération les réalités des étudiant.es de l’international cette fois-ci. Le potentiel d’universalité de cette campagne va bien au-delà de celui des luttes étudiantes habituelles.

David Jules

  1. La Charte de Grenoble : http://strasbourg.unef.fr/quest-ce-que-lunef/la-charte-de-grenoble/
  2. Source: Bureau canadien de l’éducation internationale, 2014. http://cbie.ca/content/images/2016/05/CBIE-flagship-French-full-WEB-RES-final.pdf
  3. Il n’est pas rare cependant d’entendre que les frais de scolarité au Québec se hissent parmi les frais de scolarité les moins élevé en Amérique du Nord; en revanche, ils font partie des plus élevés parmi les pays membres de l’OCDE, étant donné que plusieurs de ces pays ont opté pour la gratuité scolaire.
  4. Plusieurs cégeps et universités situées en régions et basant leur revenu sur l’achalandage d’étudiant.es français.es ont été touchés par une baisse d’inscriptions suite à l’arrêt de l’entente France-Québec.