Juste Milieu
Présentement, les négociations du secteur public, la lutte contre l’austérité et la réorganisation du mouvement étudiant depuis que la FEUQ s’est éteinte, rendent plus que jamais nécessaire de redéfinir les rapports de la gauche étudiante aux autres mouvements sociaux, mais aussi à la population étudiante elle-même. Comment mieux lutter? Nous sommes d’avis que la mobilisation doit tout d’abord s’exercer autour des établissements d’enseignement, environnement où se côtoient non pas une masse indistincte d’étudiants et d’étudiantes, mais des personnes complexes en chair et en os, avec qui nous partageons des conditions de vie, de travail et d’études communes. Si la démocratie directe a un sens, ce n’est que sur la base de meilleurs rapports avec nos collègues qu’une réflexion stratégique plus solide pourra émerger; le manque de ferveur que suscite la campagne de grève de cet automne nous contraint d’autant plus à un tel exercice.
Ce dont on parle, c’est de privilégier un rapport direct, de discuter dans les salles de classe, les corridors, les cafés étudiants; de partager des informations et réflexions par des moyens contrôlés par les étudiantes et étudiants en lutte; surtout, malgré la justesse générale de nos idées, de ne pas considérer “la base” comme du monde à remplir de vérités rédigées au “national”, mais de débattre et d’inciter la population étudiante à se saisir elle-même de ses problèmes, quitte à chambouler nos plans. Cela implique la participation d’un maximum de gens à toutes les étapes de planification, de décision et d’exécution, ce qui va bien au-delà de la simple présence aux manifestations. Nous croyons central de privilégier des comités de mobilisation ouverts et dynamiques, la reconnaissance en toute transparence de groupes d’affinités lorsqu’il en existe et d’encourager la tenue des débats stratégiques directement dans les assemblées générales.
Il en va de même pour les mouvements que l’on appuie. Ce ne sont pas des centrales syndicales que nous désirons soutenir, mais bien les employé-es syndiqué-es en lutte. Il s’agit des profs qui nous enseignent ou qui nous ont enseigné, du personnel de soutien qui nous torche, des infirmières et préposé-es qui nous soignent, etc. Puisque nous partageons un lien communautaire direct avec ces personnes, et non avec la bureaucratie syndicale, c’est avec ces gens que nous devrions planifier nos actions. De même, nous désirons soutenir ces luttes par une solidarité effective impliquant la base de leur mouvement comme du nôtre. C’est d’ailleurs à cette fin qu’une position a été prise en ce sens en congrès l’an dernier.
Afin de créer un espace d’échange et de coordination pour celles et ceux qui partagent cette conception du travail politique concret, nous avons contribué à remettre sur pied le Conseil régional de l’ASSÉ à Montréal (CRAM), et nous encourageons et souhaitons aider quiconque voudra créer, relancer ou renforcer un conseil régional dans son coin. Ce sont des instances flexibles quant à leur composition, dans la mesure où des associations qui ne sont pas affiliées à l’ASSÉ peuvent en être membres. C’est là un avantage notoire qui accorde bien plus d’importance à la consolidation de la gauche étudiante qu’à l’allégeance vis-à-vis des différentes fédérations étudiantes. Des comités de mobilisation, des comités d’action politique et des groupes communautaires qui contribuent au mouvement peuvent même en faire partie. Il s’agit de mettre en commun les expériences ainsi que les connaissances théoriques et pratiques de toutes les composantes de la gauche étudiante dans une région de référence, sans corporatisme. Selon les cultures militantes régionales et en fonction des ressources et énergies disponibles, les façons de faire peuvent aussi varier d’un conseil à l’autre, permettant de réagir à leurs manières à différents enjeux, dans la région ou à plus grande échelle.
À l’origine, les conseils régionaux avaient pour but de renforcer la gauche étudiante à l’extérieur de Montréal; dans les derniers miles du Mouvement pour le droit à l’éducation (MDE), les propositions formulées par des éléments de différentes tendances allaient en ce sens. Les conseils régionaux devaient servir à organiser au niveau régional une coordination des comités de mobilisation et des groupes politiques locaux, à valoriser l’apport ouvert des différentes tendances politiques, à ancrer davantage la gauche étudiante dans les luttes régionales et à favoriser le lien d’appartenance vis-à-vis de l’organisation à l’extérieur de la métropole. Avec raison: un mouvement social est d’autant plus fort si un large pan de celles et ceux qui le constituent est en mesure d’assumer une variété de fonctions au cœur de la lutte ou, en d’autres mots, lorsqu’il est animé organiquement par une base dynamique. Cela a aussi comme effet positif de créer d’autres lieux d’organisation étudiante à distance de la culture militante montréalaise – et uqamienne en particulier – dont l’hégémonie se reproduit via les instances dites “nationales”.
C’est sur cette base que nous vous convions à redonner vie aux conseils régionaux: pour prendre en compte les réalités locales et régionales, en organisant plus formellement chacune des petites communautés organiques de la gauche étudiante. Bien sûr, il n’est pas obligé de passer par les conseils régionaux de l’ASSÉ; cela dit, cette option permet de bénéficier du quart de son budget annuel qui peut être alloué aux régions, soit des dizaines de milliers de dollars. Cette contribution financière n’est pas à négliger pour combler les dépenses encourues pour l’impression de journaux et de brochures visant à partager de l’information et des idées, pour l’organisation de camps de formation, où l’on peut échanger des expériences et des réflexions, ou encore pour la tenue de réunions de comités et d’instances rassembleuses pour des militantes et militants, le tout dans une perspective de construction de communautés politiques dignes de ce nom. Pensons également qu’actuellement,l’essentiel du poste budgétaire “mobilisation” sert à couvrir les frais de transport et de subsistance de tourisme militant sur le vaste territoire couvert par l’ASSÉ, alors qu’il est plus avisé et efficace d’organiser la solidarité sur une base décentralisée. L’idée n’est donc pas de diviser les forces, mais de construire les bases d’organisations capables de prendre à bras-le-corps les défis politiques qu’implique un réseau de groupes étudiants, communautaires et syndicaux étendu sur un vaste territoire, et qui pourrait d’ailleurs dépasser le Québec, avec un peu d’audace.
Cette option n’a bien sûr rien d’un miracle. C’est la mise en pratique d’une conception théorique elle-même issue de nos expériences, une intervention pour corriger le pire et renouveler le meilleur du mouvement, et ainsi contribuer à son évolution positive.
Chanel Fortin
Thierry Beauvais-Gentile