Les mouvements pour un salaire étudiant
Un combat pour la légitimité économique des personnes en formation[1].
Par Aurélien Casta, sociologue, économiste, syndicaliste et membre de l’association Réseau salariat
En tant que mouvement étudiant, les grèves menées actuellement au Québec ne se retrouvent pas (pour l’instant?) en Europe de l’Ouest[2]. Pour autant, elles rappellent à plus d’un titre les mobilisations syndicales en faveur du salaire étudiant conduites dans les années 1940 en France sous l’impulsion de l’Union nationale des étudiants de France (UNEF) et dans les années 1970 au Royaume-Uni dans le cadre du National Union of students (NUS)[3]. Certes, vue de France et du Québec, la critique par les membres des CUTE des stratégies et organisations privilégiées par les syndicats étudiants depuis les années 2000 et pendant la mobilisation de 2012 peut sembler féroce et justifiée[4]. Plus fondamentalement, les CUTE ont choisi de défendre le salaire étudiant en dénonçant en premier lieu la non-rémunération des personnes étudiant dans les filières les plus féminisées. En procédant de la sorte, les comités ont privilégié une entrée plus féministe[5] que celle qui avait été privilégiée par les syndicats ouest-européens. Bien entendu, le parcours des personnes et groupes mobilisés est radicalement différent de par les contextes nationaux et historiques[6]. Plutôt que de revenir sur ces différences, le texte insistera davantage sur les réflexions communes qui ont jalonné le mouvement français de 1940 et le mouvement québécois actuel. Une telle comparaison permet de revenir sur des points d’accord possibles qui pourraient être creusés à l’avenir par les collectifs et organisations défendant le principe du salaire étudiant. Ces points communs pourraient sans doute alimenter la discussion au niveau international et même contribuer à l’identification d’axes communs de mobilisation.
Les similitudes stratégiques de deux mouvements
Évoquons d’emblée les ressemblances qui apparaissent comme les plus marquantes. Ces ressemblances vont au-delà de la revendication d’un salaire étudiant et portent à la fois sur les modes d’action et les horizons revendicatifs des groupes mobilisés : recours à la grève ; temporalité et stratégie assez longues de la mobilisation (plusieurs années) ; volontés de rassembler les forces étudiantes et d’imposer une rupture stratégique dans le mouvement étudiant ; tentative de concilier la popularisation d’un horizon concret et désirable – le salaire étudiant ou la rémunération des stages – et une transformation plus profonde des mentalités ; revendication d’une gratuité totale de la formation et lutte contre les frais d’inscription ; volonté de présenter les études et la formation comme un travail ; références à la Charte de Grenoble adoptée en 1946 par l’UNEF ; volontés de remettre en cause la division entre l’acquisition et la mise en pratique des connaissances, entre le travail manuel et le travail intellectuel ; tentative d’une reprise en main des lieux d’études par les personnes en formation ; volontés de transformations radicales enfin tant au sein de l’enseignement qu’en dehors puisque dans les deux cas, on souhaite s’attaquer à des systèmes d’oppression globaux comme le capitalisme et bien sûr le fascisme dans la France des années 1940 et sans doute plus encore actuellement au Québec[7]. Je me contenterai ici de revenir sur l’une de ses similitudes. Cette similitude mérite d’être discutée parce qu’elle paraît encore centrale dans les mobilisations, parce qu’elle est assise sur des courants de pensée différents et parce qu’elle esquisse peut-être deux points d’accord possibles entre les mouvements ouest-européen et nord-américain.
Une lutte pour la légitimité économique des personnes en formation
Cette similitude est la suivante : aujourd’hui comme après-guerre, le souhait des étudiant.e.s en lutte pour le salaire étudiant est de faire des personnes en formation des acteurs et actrices économiques légitimes. Cette forte conviction marque à mes yeux la volonté de contribuer à un renversement des rapports de pouvoir qui ne se limite pas à la sphère politique (et par le fait même électorale). En effet, cette volonté de renversement porte aussi sur la sphère économique. Ce souhait se retrouve dès l’après-guerre en France. Trois orientations prises alors par l’UNEF et ses alliés illustrent le changement de vocabulaire et de point de vue sur l’économie et sur les frontières du travail productif de valeur[8].
Premièrement, toute la mobilisation de l’après-guerre visait à se battre pour faire accepter que les personnes en études travaillent et sont des "travailleurs" comme le proclame la Charte de Grenoble. Et cela au sens de "leur qualité présente" de "travailleur" et non pas au titre de leur statut futur de travailleur comme les promoteurs des prêts les y invitaient déjà pour mieux leur dénier le droit au salaire. Deuxièmement, on comparait les étudiantes et les étudiants à d’autres catégories de travailleuses et de travailleurs dont le rôle dans la sphère économique apparaissait comme incontestable. Après-guerre, il est par exemple arrivé que les ouvriers et les étudiants soient mis sur le même plan. L’utilité sociale immédiate de leur activité était promue et on défendait une reconnaissance conjointe et économique de ces deux types de travaux. Troisièmement, les luttes de l’après-guerre se sont confrontées aux conceptions dominantes de la valeur et du travail productif. Elles ont en effet légitimé le salaire étudiant au titre des productions concrètes des personnes en formation. Ces luttes ont surtout justifié ce salaire au titre de l’existence d’une valeur économique immédiate et non capitaliste qui était incarnée par la fonction publique d’État et la sécurité sociale et qui était distinguée de la valeur que le capitalisme accorde aux études.
Malgré toutes les différences et nuances qui peuvent exister[9], il semble que ces trois orientations et ce changement de vocabulaire et de point de vue se retrouvent actuellement au Québec. Il semble aussi que ces orientations et ce changement se retrouvent aussi parfois depuis de nombreuses années dans les cahiers revendicatifs des trois syndicats étudiants français, belge ou suisse évoqués plus haut. Comme après-guerre, les organisations étudiantes actuelles, surtout la québécoise en ce moment, proposent en les articulant deux types de justifications à ce revirement revendicatif et intellectuel.
Le premier type de justification est très politique et stratégique. Défendre la légitimité économique pleine et entière des étudiants et des étudiantes a ouvert et ouvre une série d’opportunités politiques. Ce choix revendicatif permet notamment de : dénoncer radicalement l’absurdité qu’il y a à faire payer des personnes qui travaillent déjà ; de renforcer le poids politique des personnes en formation et de leurs organisations ; d’ouvrir de nombreuses perspectives d’alliances avec d’autres catégories de travailleurs et de travailleuses qu’elles soient très organisées ou particulièrement exploitées ; de prendre conscience collectivement du poids des systèmes d’oppression (capitaliste, patriarcal, raciste, …) ; et d’appliquer aux lieux d’études les normes du travail et les droits obtenus dans le passé par les salarié.e.s.
Le second type de justification avancée est plus économique. Il porte directement sur la valeur et le caractère productif du travail étudiant et semble marqué par le souhait de procéder à un réexamen des catégories d’analyse marxistes. A ce stade, il appelle sans doute plus de discussion et de clarification notamment parce que les "théories" économiques sur lesquelles s’appuient les organisations étudiantes ouest-européennes et nord-américaines ne sont pas les mêmes et bien sûr parce qu’elles n’ont pas jusqu’ici eu les mêmes effets politiques. De plus, ces théories méritent sans doute chacune d’être discutées une à une, confrontées et approfondies à la lumière de la condition étudiante et des luttes actuelles[10].
Les apports de la Campagne du salaire au travail ménager
Vu de France, on constate qu’au Québec, sur ce point, une partie des analyses qui ont mené à la forte mobilisation actuelle a été empruntée aux militantes de la Campagne du salaire au travail ménager[11] comme l’illustrent les échanges menés avec la féministe et universitaire Silvia Federici[12]. Il semble que ces emprunts aient notamment contribué à charpenter une série de propositions spécifiques sur la valeur et le caractère productifs du travail de formation. Évoquons-les rapidement : les stages sont la pointe la plus visible (et la plus incontestable?) des productions concrètes des étudiant.e.s ; ces productions étudiantes ne se limitent pas aux stages et consistent aussi dans une contribution à l’amélioration collective des connaissances académiques et professionnelles ; le travail étudiant payé et donc valorisé existe avec les stages rémunérés dans les filières d’études où les hommes sont majoritaires ; les stages lorsqu’ils sont menés dans le privé contribuent à la valeur d’échange capitaliste[13] car ils donnent lieu à une valorisation directe et immédiate du capital d’autant plus rémunératrice et exploitante que le travail mené est peu ou pas rémunéré ; la formation en général contribue à une valorisation indirecte et/ou future du capital[14]; enfin, les deux types de valorisation du capital permises par la formation ont une dimension patriarcale puisque dans les deux cas la rémunération accordée aux femmes pendant et après les études est plus rare ou plus faible.
La théorie du salaire à vie
Dans l’Europe francophone, outre l’influence du mouvement français des années 1940, on note que les analyses de l’universitaire Bernard Friot et des militant.e.s du salaire socialisé ou du salaire à vie sont elles aussi régulièrement discutées au sein des syndicats étudiants[15] sans mener jusqu’ici à des mobilisations comparables à celle qui a lieu actuellement au Québec. L’entrée privilégiée par Bernard Friot est celle du salaire et de sa construction historique. A force d’observations minutieuses, Bernard Friot en est venu à remettre en cause à la fin des années 1990 la définition du salaire la plus répandue dans les différents courants marxistes. Il constate notamment que le salaire est surtout devenu dans la seconde moitié du vingtième siècle un barème, un tarif réglementé. On le voit avec la richesse et l’épaisseur des documents institutionnels où est défini le salaire : conventions collectives de chaque secteur d’activité ; grilles de la fonction publique ; droit du travail et de la sécurité sociale. On le voit aussi avec l’existence de cotisations sur les salaires. Ces cotisations que Bernard Friot appelle salaire socialisé sont collectées depuis 1945. Elles sont ajoutées au salaire immédiatement perçue par les personnes (couramment appelé salaire direct). Avant de baisser récemment, les cotisations souvent fixées à un taux unique ont représenté jusqu’à 80% du salaire direct[16]. Bernard Friot en a conclu que les définitions du salaire les plus discutées dans le marxisme et ailleurs devaient faire l’objet d’une révision radicale.
En résumé, le salaire ne prend plus uniquement la forme que lui donne l’exploitation capitaliste, le prix de la force de travail. Il prend aussi la forme d’une conquête politique arrachée au patronat sur plusieurs décennies par les salariés et les salariées mobilisés en tant que collectifs et que syndicats. Ces conquêtes se manifestent encore aujourd’hui en France par une série de droits fondés sur le salaire socialisé. Elles s’expriment particulièrement dans les domaines de la fonction publique d’Etat, de la santé, de la retraite (après 60 ans en France) ou du chômage. La caractéristique principale des droits conquis est notamment qu’ils maintiennent complètement ou en partie (les trois quart par exemple en matière de chômage) le salaire touché précédemment par la personne. Une autre caractéristique importante est que ces droits peuvent prendre la forme de ce que Bernard Friot appelle un salaire à vie. Dans ce cas, le droit au salaire est garanti jusqu’à la fin de la vie des personnes comme l’illustrent en France les cas des retraités et des fonctionnaires.
Dans des réflexions plus récentes[17], Bernard Friot a tiré encore davantage les conséquences théoriques et politiques de sa thèse en explorant à nouveaux frais les concepts de travail et de valeur. A ses yeux, les droits au salaire obtenus inaugurent une autre pratique et une autre conception du travail et de la valeur. De façon plus fondamentale, ces droits anticipent une sortie du capitalisme[18]. Dans ses réflexions, il oppose notamment activité et travail et souhaite aussi distinguer la pratique capitaliste de la valeur (la valeur d’échange capitaliste) d’une autre pratique non capitaliste de la valeur et de la production initiée par le salaire socialisé.
Selon lui, l’activité renvoie surtout à l’utilité concrète de la contribution des personnes en formation, à la valeur d’usage ou à la richesse[19] de cette contribution, bref au travail concret. Il estime que la focalisation des débats sur le contenu concret des activités et leur utilité sociale fait trop souvent oublier des questions fondamentales sur les types de financements octroyés ou non aux personnes en formation, sur les droits au salaire accordés ou non aux personnes.
Pour Bernard Friot, du point de vue de la valeur du travail concret c’est-à-dire du point de vue du travail abstrait, les droits au salaire ouverts dans le cadre du salaire socialisé sont une contradiction concrète, massive et vivante de la valeur d’échange capitaliste, de l’exploitation des personnes et de la production de profit qui lui sont associées[20]. C’est à ce titre que les conquêtes politiques du salariat sont aussi des conquêtes économiques qu’il s’agit de prolonger dans tous les domaines, y compris celui des études et de la formation, en accordant à chaque personne au moment de l’accès au droit de vote (18 ans en France) un droit inconditionnel au salaire[21]. Selon lui, un tel droit est une condition nécessaire si l’on veut contester complètement et concrètement le capitalisme et poser les bases d’une autre économie où chacune et chacun serait réellement maître de son travail dans le domaine de la formation et ailleurs.
Deux points d’accord possibles
On l’aura compris, le mouvement français des années 1940, la Campagne du salaire au travail ménager et la théorie du salaire à vie qui ont nourri les projets revendicatifs des organisations étudiantes en Europe et en Amérique n’ont pas eu jusqu’ici les mêmes effets politiques et appellent sans doute encore beaucoup de discussions notamment sur la façon dont les deux courants de pensée globales du salaire au travail ménager et du salaire à vie peuvent être déclinés et approfondis dans le domaine de la formation. La question de l’articulation de ces deux courants mérite tout de même à nos yeux d’être posée. En effet, cette question esquisse probablement des points d’accords politiques et internationaux entre les différents mouvements étudiants qui souhaitent se saisir de la revendication du salaire étudiant et en faire l’élément d’un projet politique réellement radical. Ces points d’accord pourraient probablement être repris voire même approfondis à l’avenir par les mouvements pour un salaire étudiant. Évoquons-en deux pour conclure.
Le premier point d’accord est sans doute le constat de part et d’autre que le salaire est le nœud d’un ou de plusieurs rapports de pouvoir et qu’il est un enjeu central de mobilisation[22]. En effet, l’absence de salaire contribue à naturaliser l’oppression réelle que subissent les personnes en formation aux côtés d’autres couches de travailleurs et de travailleuses. Cette absence n’est pas sans effets sociologiques sur le groupe étudiant et probablement sur d’autres. Ces effets ont encore aujourd’hui un caractère très pesant. Dans les sociétés actuelles, beaucoup de groupes défendent régulièrement l’idée que les personnes en formation ne travaillent et ne produisent pas. On peut penser que cette idée a fini par être intégrée par les étudiant.e.s et que c’est notamment pour cette raison que ce groupe social comme d’autres peut avoir du mal à se penser comme un acteur économique légitime. L’absence de salaire, outre qu’elle contribue à la cohésion interne du groupe étudiant, peut être aussi le levier de mobilisations qui vont bien au-delà de ce groupe. Notamment lorsque cette absence est repérée et comprise par les personnes sans salaire comme un refus et le signe d’oppressions globales subies par des personnes qui sont en formation et par d’autres qui ne le sont pas. Alors la voie est ouverte à des mobilisations susceptibles de contribuer à la remise en cause de cette absence et des oppressions subies. Inversement, dans le contexte actuel, lorsqu’elles et ils souhaitent remettre en cause ces oppressions, les sans-salaire font une erreur stratégique si le salaire ne reste pas l’un des enjeux centraux de leur mobilisation et de leurs discussions.
Le second point d’accord que l’on peut tirer des courants évoqués est sans doute le refus systématique de jouer le jeu de la victimisation économique imposée aux personnes qui ne touchent pas de salaire notamment parce qu’elle a la victimisation politique pour corollaire. Refuser le statut de victimes du système économique ou le statut de pauvre vise bien sûr à conforter et à approfondir l’idée que toutes et tous les sans-salaire et les personnes en formation sont des travailleurs et des travailleuses. Des producteurs et des productrices dont la légitimité économique est égale à celle de leur conjoint.e, des capitalistes et des personnes qui touchent un salaire. Ce refus contribue aussi à considérer que les sans-salaire et les personnes en formation sont des acteurs et des actrices politiques à part entière. Il contribue à considérer que les sans-salaire sont comme les personnes salariées capables de changer radicalement le fonctionnement de l’économie, de remettre en cause ses fondements patriarcaux ou capitalistes. À ce titre, refuser le statut de victime revient également pour ces groupes sociaux à se convaincre qu’ils sont en mesure de se mobiliser et d’obtenir eux et elles aussi le droit au salaire ainsi que d’autres gains, à la fois politiques et économiques.
À n’en pas douter, ces deux points d’accord se complètent l’un l’autre. Ils pourraient être repris, voire approfondis, et nourrir des campagnes internationales en faveur de la rémunération des stages et du salaire étudiant.
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Grand merci aux membres des CUTE et en particulier à Annabelle Berthiaume pour leur proposition et leur relecture des différentes versions de ce texte. Grand merci également à Maud Simonet, à Bernard Friot et à Laura pour leurs suggestions. ↩︎
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Le mouvement ouest-européen semble toutefois récemment avoir été relancé à la suite d’un appel pour un salaire étudiant rédigé par trois syndicats étudiants belges, français et suisse : l’Union syndicale étudiante, Solidaires étudiant-e-s et SUD étudiant-e-s et précaires. D’origine syndicale, cet appel semble s’inspirer de la lutte québécoise. ↩︎
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Sur la plupart des éléments présentés dans ce texte, on pourra se reporter à Aurélien Casta, Un salaire étudiant. Financement et démocratisation des études, La Dispute, « Travail et salariat », Paris, 2017. Le texte reviendra surtout sur le cas de la France où un projet de salaire étudiant a failli être adopté en 1951 par l’Assemblée nationale. Ayant une connaissance beaucoup plus récente de la situation nord-américaine, les réflexions sur le mouvement québecois sont surtout des hypothèses dont le but est d’alimenter la discussion. ↩︎
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Sur la critique de la gauche étudiante et du centralisme démocratique, voir par exemple Louis-Thomas Leguerrier (2018), "Réflexion sur la grève des stages et la reconfiguration du mouvement étudiant", CUTE magazine, n°4 p. 8-10. Sur ce point, j’ai eu l’occasion en observant les situations britanniques et françaises, de constater comme les CUTE que défendre la prétendue "autonomie" du savoir universitaire était une impasse stratégique notamment parce que ce mot d’ordre laisse le champ libre aux argumentaires très économiques des défenseurs de la hausse des frais d’inscription et du développement des prêts étudiants. ↩︎
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On reprend ici une définition au sens large du féminisme. Le texte reviendra plus en détails par la suite sur le courant de pensée du salaire au travail ménager qui apparaît comme la principale source d’inspiration des CUTE. ↩︎
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Évoquons en vrac le contexte politique très favorable dans la France de l’après-guerre, les effectifs étudiants très faibles (environ 200 000 personnes dont 30% d’étudiantes contre 2,6 millions aujourd’hui avec environ 55% de femmes), l’enracinement du syndicat étudiant dans les mouvements de la résistance contre l’occupant nazi ou encore la proximité qu’il a cultivée avec les partis communiste, socialiste et chrétien-démocrate. ↩︎
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J’ai bien remarqué qu’en plus du capitalisme, le patriarcat, le racisme, l’homophobie et d’autres formes de discriminations liées à l’identité de genre ou l’orientation sexuelle faisaient l’objet au Québec d’une critique radicale qui se nourrit notamment des stratégies élaborées pendant la campagne du salaire au travail ménager. ↩︎
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Des orientations semblables avaient été prises par l’Union générale des étudiants du Québec une quinzaine d’années plus tard, dans les années 1960. Voir David Jules, « L’erreur du syndicalisme étudiant », CUTE Magazine, Hiver 2017, https://dissident.es/lerreur-du-syndicalisme-etudiant/ ↩︎
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Je crois avoir compris par exemple que ce sont davantage les travailleuses non payés ou très peu rémunérées qui font référence au Québec. ↩︎
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On ne reviendra pas ici sur les discussions internes au féminisme et au marxisme dont font l’objet ces théories. ↩︎
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Voir Poirier A. et Tremblay-Fournier C. (2017), "La grève des stages est une grève des femmes", Françoise Stéréo, n°9. ↩︎
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Voir Toupin L. (2016), "Le salaire au travail ménager, 1972-1977 : retour sur un courant féministe évanoui", Démarches méthodologiques et perspectives féministes, vol. 29, n°1, p. 179-188. En lien avec cette campagne, on peut aussi noter l’influence de George Caffentzis l’un des rédacteurs du manifeste de 1976 Wages for students. Sueldo para estudiantes. Des salaires pour les étudiants, réédité en 2016 en 3 langues par les éditions Common Notions avec Vaticanochico et les Éditions de l’Asymétrie. ↩︎
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On peut définir à la suite de différents courants marxistes la valeur d’échange capitaliste comme le produit d’un procès de travail historiquement bien spécifique ayant pour objectif la vente du produit sur le marché et finalement l’obtention d’un profit dans une société capitaliste. Les courants marxistes les mieux connus et les plus discutés en ont conclu que le salaire représentait le prix de la force de travail et n’avait vocation sous le capital qu’à reproduire cette force de travail. On verra par la suite qu’une autre théorie du salaire et de la valeur a été développée en Europe par Bernard Friot. ↩︎
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Comme je l’évoque dans Un salaire étudiant, on peut fortement s’interroger sur l’intérêt qu’ont les militantes et militants du salaire étudiant à reprendre ce type de conclusions et d’arguments. Pour le dire vite, cette proposition : 1/ reste un argument des économistes du capital humain et des groupes qui promeuvent la hausse des frais d’inscription ; 2/ sa reprise par le mouvement travailliste et syndical au Royaume-Uni dans les années 1980 et 1990 a contribué à la hausse des frais et au développement des prêts ; 3/ elle a un caractère très spéculatif et remet en cause l’un des premiers résultats de l’économie politique selon lequel la somme totale de valeur produite lors d’une période provient du travail humain de la période ; et 4/ elle contribue à faire oublier que les personnes en formation produisent immédiatement et directement de la valeur dans un cadre qui est au moins en partie non capitaliste. Plus généralement, on peut supposer que les défenseurs d’une hausse des frais d’inscription cherchent en insistant sur la valeur future des études à nier que la question de leur valeur présente soit une question pertinente. Après tout, on peut penser que si cette question de la valeur future était vraiment intéressante, elle serait discutée aussi systématiquement dans d’autres domaines que les études. ↩︎
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L’association d’éducation populaire Réseau salariat dont nous sommes membres avec Bernard Friot contribue depuis plusieurs années à la promotion de ce type d’analyses et de projets politiques. Bernard Friot est par ailleurs syndicaliste et membre du Parti communiste français (PCF). Si les réflexions de l’association ne prennent pas spécifiquement pour objet le salaire étudiant, il leur est arrivé fréquemment d’y contribuer comme l’illustrent la conférence donnée en 2017 à l’initiative de l’Union syndicale étudiante et des textes plus anciens. Voir la conférence https://www.youtube.com/watch?v=583QugQPmjE et Friot B. (2001), "Le SMIC pour tous avant le premier emploi", Note pour l’UNEF-ID. lien. Pour comprendre la globalité et l’origine de la pensée de Bernard Friot, on pourra se reporter à son ouvrage paru en 1998 et réédité de façon remaniée en 2012 à La Dispute Puissances du salariat. Emploi et protection sociale à la française. ↩︎
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Réseau salariat et Bernard Friot évoquent régulièrement les centaines de milliards d’euros que représentent chaque année les salaires de la fonction publique et les cotisations salariales. ↩︎
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Quatre livres ont notamment été publiés de 2010 à 2017 aux éditions la Dispute. Le dernier était intitulé Vaincre Macron. ↩︎
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Si les autres oppressions ne sont pas au cœur de ses réflexions, la place assignée aux femmes, l’écologie ou l’internationalisation du salaire à vie sont traitées ponctuellement par exemple dans le livre d’entretien paru en 2014 et intitulé Émanciper le travail. ↩︎
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Le concept de richesses est utilisé par l’universitaire Jean-Marie Harribey, membre de l’association ATTAC, pour désigner les valeurs d’usage. Jean-Marie Harribey a également démontré qu’il existait bien avec la fonction publique en France une autre pratique de la valeur, effectivement distincte de la valeur capitaliste. Harribey J.-M. (2013), La richesse, la valeur et l’inestimable. Fondements d’une critique socio-écologique de l’économie capitaliste, Les Liens qui Libèrent, Paris. La qualification de cette pratique, son étendue et sa portée politique font toujours débat entre Bernard Friot et Jean-Marie Harribey. ↩︎
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En s’inspirant de Bernard Friot, on peut ainsi ajouter que la valeur d’échange est : 1/ une pratique historiquement située contredite avec le temps par une autre pratique de la valeur celle-ci non capitaliste ; et 2/ en plus d’être une pratique, est aussi un point de vue imposé par une classe minoritaire pour qui la valeur en général se réduit à la valeur produite dans le cadre capitaliste. ↩︎
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Il s’agit aussi d’associer à un tel droit un droit à la co-propriété d’usage des lieux de travail que Bernard Friot oppose à la propriété lucrative capitaliste, en résumé remplacer le droit d’utiliser les lieux et outils de travail pour accumuler du profit par un droit de gestion accordé conjointement à tous les utilisateurs et toutes les utilisatrices de ces lieux et outils. ↩︎
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C’est sans doute ce point qui a nourri la critique des errements stratégiques des syndicats étudiants qui ont fini par délaisser la revendication du salaire étudiant pour défendre l’autonomie du savoir. Dans un autre style, l’association Réseau salariat qui échange assez souvent avec les syndicats étudiants ouest-européens favorables au salaire étudiant a pris l’habitude de critiquer les différents projets de "revenu de base" ou de "universal basic income" parce qu’ils relativisent ou oublient les enjeux politiques du salaire. Enfin, dire que le salaire est un enjeu central des luttes ne veut pas dire qu’il doit être le point unique de discussion et de mobilisation. Plusieurs textes des CUTE sur le harcèlement sexuel ou encore la défense d’autres modes de mobilisation plus démocratiques montrent bien que la lutte pour le salaire peut nourrir et se nourrir d’autres luttes menées en parallèle. ↩︎