Pour une plus grande inclusivité à l’AFESH (et ailleurs)

Ça ne vous surprendra probablement pas si je dis que le mode d’organisation de l’Association Facultaire Étudiante des Sciences Humaines de l’UQÀM (AFESH-UQÀM) se fonde sur un principe de démocratie directe. Ce mode d’organisation découle d’idées politiques pour une distribution égale des pouvoirs entre les individus et une prise de décision collective et horizontale. Cette forme d’organisation est en soi une affirmation politique radicale qui s’oppose à un système de prise de décisions autoritaire d’une minorité qui détient le pouvoir, comme c’est présentement le cas de la politique traditionnelle québécoise et de la démocratie représentative libérale. Ça ne surprendra probablement pas beaucoup d’entre vous non plus si je dis que la démocratie directe étudiante a des limites et est sur plusieurs points défaillante.

Cette constatation est devenue évidente à l’AFESH durant le référendum sur la reconnaissance de l’AFESH lors du printemps 2015. Pour les personnes qui ne sont pas au courant des dossiers de la politique uqamienne, l’AFESH est reconnue par l’UQÀM selon la politique 32. Cette même politique permet à l’UQÀM, suite à une pétition de 4% des étudiant.es en sciences humaines, de tenir un référendum sur la reconnaissance de l’AFESH. La perte de ce référendum signifie que l’association perdrait en même temps son droit de percevoir des cotisations, d’avoir un local, de louer des salles pour les assemblées générales, d’afficher sur les babillards, etc. S’en suit, en pleine période de grève illimitée, une lutte entre deux factions que des militant.es ont grossièrement caricaturées comme les ”réacts anti-AFESH’’ et les ‘’militant.es pro-AFESH’’. Un des enjeux du référendum est la question: alors que les ”anti-AFESH” veulent que la question du référendum ressemble à ‘‘Considérez-vous que l’AFESH vous représente?”, les ‘’pro-AFESH’’ ne sont pas dupes et savent que ce qui est en jeu n’est pas la représentativité de l’AFESH, mais sa survie (et veulent que la question ressemble à ‘‘Désirez-vous que l’AFESH demeure une association étudiante reconnue par l’UQAM?”). Ce conflit sur la question soulève un enjeu de taille: alors qu’il est claire que les ”anti-AFESH” ne se sentent pas représenté.es par l’AFESH et ne veulent pas qu’elle continue d’exister et que les ‘’pro-AFESH’’ se sentent représenté.es et veulent que l’AFESH survive, une bonne partie de la population de sciences humaines répondrait ”non” si la question portait sur la représentativité de l’association, mais ”oui” si la question portait sur sa survie. Des étudiant.es, donc, reconnaissent les bienfaits que leur apporte l’association, mais ne se sentent pas que celle-ci, dans ses pratiques et son organisation, les représente. Cette constatation démontre les limites des catégories caricaturées: tout n’est pas noir ou blanc comme tout n’est pas ”réact” ou ‘’militant’’. L’AFESH est composée d’une multitude de personnes représentant un éventail d’opinions et des réalités diverses, et plusieurs critiques apportées par les personnes qui ne s’identifient pas ou partiellement à l’AFESH sont pertinentes. C’est dans le but de repenser nos pratiques pour permettre une plus grande inclusion que le comité sur l’inclusivité a été rajouté au printemps 2015 à la charte de l’AFESH.

La démocratie directe étudiante dans sa forme actuelle (et pas seulement à l’AFESH) représente davantage les personnes qui ont des privilèges que les personnes qui n’en ont pas, ce qui aide à la formation d’une clique qui a un accès privilégié à la dynamique militante, excluant nécessairement les personnes ne faisant pas partie de ce groupe. Non seulement il n’y a pas de structure officielle permettant l’inclusion de nouvelles et nouveaux dans les milieux militants, mais les structures informelles d’inclusion favorisent davantage les personnes qui rentrent dans un moule militant. L’exclusion des personnes qui ne suivent pas ce modèle se fait le plus souvent de façon sournoise et inconsciente. En effet, le pouvoir dans les démocraties étudiantes est réparti selon un principe participatif, ce qui fait en sorte que pour s’impliquer dans l’association (de près ou de loin), il faut participer activement et donc à la fois avoir du temps et être suffisamment à l’aise. Il faut du temps non seulement pour participer aux instances décisionnelles comme l’assemblée générale, mais il en faut surtout pour exécuter ces décisions, ce qui fait en sorte que les étudiant.es qui ont un ou des enfants, les étudiant.es qui ont un emploi (spécialement si c’est à temps plein) et les étudiant.es qui habitent loin de l’UQÀM, par exemple, vont nécessairement avoir moins de temps et être moins écouté.es. Il faut aussi être assez confiant.e non seulement pour prendre la parole dans les instances décisionnelles mais aussi pour prendre l’initiative d’exécuter les mandats (en comité, par exemple), ce qui fait en sorte que les étudiant.es qui ont des idées politiques marginalisées, les étudiant.es qui vivent des oppressions systémiques et les étudiant.es qui n’ont tout simplement pas une bonne connaissance des procédures ou du milieu militant vont nécessairement moins participer. Même si l’exclusion est souvent la conséquence inconsciente de failles, celle-ci peut aussi se faire de façon directe (l’exemple d’une amie racisée, habitant à 1h30 de l’UQÀM et qui doit travailler 30h/semaine qui voulait s’impliquer sur l’exécutif de l’AFESH lors des dernières élections mais s’est désistée lorsqu’on lui a dit, notamment en message privé, que l’exécutif de l’AFESH n’est pas un milieu pour elle est révélateur).

Contrairement à ce que certaines personnes intégrées dans le milieu militant pourraient dire, ces lacunes ne sont pas des conséquences inévitables de la démocratie directe et des mesures peuvent être mises en place pour favoriser l’inclusion. Voici certaines suggestions faites par le comité sur l’inclusivité lors du printemps 2015 (certaines, d’ailleurs, se font déjà, mais partiellement ou de temps en temps): la création d’une pause commune à l’UQÀM durant laquelle se tiendrait les assemblées générales et les rencontres de l’association, un service de garderie disponible pendant les assemblées générales, la création de vidéos explicatifs sur les procédures de l’AFESH, la distribution en assemblée générale d’un document sur la féminisation, un rôle plus accru du senti en assemblée générale, la création d’un rôle d’aide aux procédures en assemblée générale (qui se promènerait dans la salle, répondrait aux questions et aiderait les personnes qui veulent faire des propositions), un accès public au cahier de propositions avant la tenue de l’assemblée, l’utilisation d’un langage moins militant et plus accessible dans les informations produites par l’exécutif, une plus grande ouverture dans le processus exécutif, la tenue de discussions ouvertes sur certains enjeux avant qu’ils soient traités en assemblée, la tenue de moments informels pour détendre l’atmosphère et inclure de nouvelles personnes, et j’en passe plusieurs.

La mise en place de mesures pour favoriser l’inclusivité ne rend pas seulement la démocratie étudiante plus saine; dans le contexte présent de démobilisation et de manque de quorum qui dure depuis plus d’un an à l’AFESH qui ne recommence que depuis récemment à battre de l’aile, un effort pour favoriser l’inclusion de nouvelles personnes (spécialement des étudiant.es arrivant à l’UQÀM à l’automne prochain) n’est plus uniquement un choix politique, mais une nécessité. Certes cette inclusivité demande du travail, et c’est pourquoi un réinvestissement du comité sur l’inclusivité, entre autres, est plus que souhaitable.

Pour une réflexion plus poussée sur l’inclusivité, notamment au national, je vous conseille les textes Limites de la démocratie directe et hiérarchisation des luttes par Annie-Pierre Bélanger (p.74) et Inclusions ou exclusions… à travers la structure organisationnelle de l’ASSÉ? par Vivanne Nadeau (p.87) se trouvant dans le cahier de mémoires du congrès d’orientation de l’ASSÉ de 2013 http://www.asse-solidarite.qc.ca/content/images/2013/05/cahier-des-memoires-versio-finale.pdf

Alexandre Lamont