Texte de réflexion critique sur le comité femmes de l’ASSÉ et sur la place du féminisme dans l’organisation

Ce texte est une archive provenant du site Dissident.es (2015-2020)

« Les femmes sont généralement considérées comme des êtres qui apportent un soutien aux autres par « la douceur » elles sont censées entretenir la solidarité dans les groupes en offrant un réconfort à leurs membres, en faisant leur éloge et en élevant leur statut1

Dans les dernières semaines, le comité femmes de l’Association pour une solidarité syndicale étudiante (CF-ASSÉ) et le comité féministe du SECMV (CF-MV) avons échangé des courriels qui, à la base, auraient pu initier une belle collaboration mais qui ont malheureusement laissé chez nous un profond sentiment d’amertume. (Il est possible de consulter l’historique intégral de nos échanges, en annexe de ce message.) L’objectif du CF-ASSÉ était de donner comme tâche au CF-MV l’accueil du prochain camp de formation féministe, dans la seule optique d’une collaboration logistique. Avant cet échange, le comité féministe de Marie-Victorin n’avait jamais été en contact avec l’ASSÉ ni avec le comité femmes du provincial et, ce, malgré l’effervescence des activités du CF-MV depuis l’automne dernier. Les membres du CF-MV avons alors considéré qu’il serait légitime de poser les termes d’une collaboration en prenant en considération les besoins, les attentes et les réalités locales. Ces membres, soucieuses du respect de leurs mandats et des buts de leur comité, avaient alors énoncé des conditions claires en lien avec la requête : une collaboration égalitaire permettant aux féministes de Marie-Victorin de participer à l’organisation du camp dans tous ses aspects. Nos conditions étaient les suivantes :

  • Le refus d’ateliers donnés en simultané. Nous voulions éviter qu’il y ait une différenciation suggérant une division féministes “débutant.e.s” vs féministes “expert.e.s”. Nous considérons que la hiérarchisation ne favorise pas un apprentissage de qualité et qu’il est préférable de solliciter la participation des militantes de différents horizons à la construction collective des connaissances. Il est pour nous tout à fait possible, voire souhaitable de concevoir des ateliers de manière à privilégier une approche plus inclusive où chacune puisse davantage trouver sa place, par-delà ses années d’expérience dans le mouvement étudiant ou féministe.
  • Que l’ASSÉ fournisse toutes les factures ou relevés pour l’ensemble des dépenses en lien avec le camp de formation, par souci de transparence. Nous aurions procédé comme d’habitude: toutes nos factures sont à la disposition de quiconque voudrait les consulter, lors de toutes activités organisées par le SECMV.
  • Que l’atelier animé par des membres du CALACS (qui était aussi au programme l’an dernier) soit remplacé par un atelier sur le processus de dénonciation des agressions sexuelles, dans une optique de justice transformatrice conformément aux mandats du SECMV et de l’ASSÉ, en gardant à l’esprit que les survivantes et les survivants sont les mieux placé.e.s pour choisir la démarche la plus efficace dans leur processus de guérison.
  • Que l’atelier sur la prostitution prenne plutôt la forme d’un panel, afin de permettre l’expression d’une diversité de points de vue et d’enrichir les discussions sur cet enjeu litigieux dans les milieux féministes et étudiants.
  • Nous voulions aussi ajouter au moins un atelier au programme dont l’objectif aurait été de favoriser un exercice d’autocritique dans une perspective de mieux comprendre la participation des femmes en luttes au sein du mouvement étudiant. Nos suggestions étaient les suivantes: “Dynamiques de pouvoir au national” et/ou “Analyse historique du comité femmes à l’ASSÉ”.

À ce jour, le CF-ASSÉ a ignoré les termes que nous proposions et aucun retour n’a été effectué à ce propos. Leur demande d’accueillir le camp de formation féministe a été retirée pour la remplacer par l’accueil du congrès femmes; le CF-ASSÉ a préféré changer de sujet plutôt que d’entamer une réelle discussion avec nous. Ses militantes ont manifestement été en désaccord vis-à-vis l’énonciation de conditions claires, en ajoutant que la manière dont nous formulions nos demandes était impolie à leur égard. Toutefois, notre but était bien simple: être traitées en égales.

Solidaire, mais sans colère?

Les membres du CF-MV avons été particulièrement choquées du ton paternaliste et infantilisant qu’a employé le CF-ASSÉ dans leur dernière réponse:

« De plus, nous aimerions souligner (vous n’êtes peut-être pas au courant) qu’entre les groupes féministes, il y a généralement/historiquement une relation solidaire et que nous nous sommes senties, en lisant vos premiers courriels, plutôt surprises du ton que nous avons interprété comme impoli et raide. »

Ce manque de solidarité dont elles nous ont affublées nous a nous-mêmes surprises puisqu’au contraire, le CF-MV proposait justement au comité provincial d’établir un rapport de réciprocité et de faire un effort d’inclusivité quant à la prise de décisions concernant le camp de formation, alors pressenti à Marie-Victorin. Nous sommes convaincues que notre proposition était pourtant plus conforme à l’expression d’une réelle solidarité que ne l’aurait été un simple engagement à fournir un local, à débarrer des portes et à réchauffer du spag’ au moment du dit camp de formation.

En ce sens, dans une perspective de décentralisation du pouvoir, tous les comités et groupes féministes devraient pouvoir prendre part à la coordination et à l’élaboration de ce genre d’évènements, et non être de simples courroies de transmission pour des décisions prises ailleurs. Le tout, dans l’optique d’inclure le plus de femmes possible, de mieux transmettre les connaissances quant à la coordination de tels projets et, surtout, de présenter aux participantes une plus grande diversité de tendances féministes. À notre avis, les instances féministes de l’ASSÉ présentent de grandes lacunes sous tous ces aspects, mais il faut quand même faire attention de ne pas mélanger manque de solidarité et divergence d’opinions. Les luttes des femmes constituent un mouvement qui englobe de nombreux courants féministes hétéroclites et parfois conflictuels. Malheureusement, il semble que la plupart des gens s’impliquant présentement au provincial aient une conception homogène et centralisée de ce mouvement. Il y a une résistance à la critique et aux débats au sein du provincial, et il est maintenant difficile de s’y reconnaître en tant que féministes. Cela vient du fait qu’au cours des dernières années, l’ASSÉ a tenté de coaliser des associations étudiantes trop éloignées de ses positions d’origine, en se montrant laxiste quant au respect et à l’application de ses principes de base.

Le congrès femmes, vraiment féministe?

Pour ce qui est du congrès femmes, il a été présenté comme une instance où les femmes deviennent les porte-parole de leur association étudiante. Comme le congrès est strictement “féministe”, les revendications doivent elles aussi, selon les statuts et règlements, relever de dossiers spécifiquement féministes. Pourtant, la lutte féministe est transversale, et non parallèle aux autres luttes… On peut alors se demander pourquoi un congrès non-mixte ne pourrait-il pas être décisionnel sur l’ensemble des revendications, des plans d’action, des structures et des finances? D’autant plus que toutes nos propositions comportent, ou du moins le devraient, une dimension ou un angle féministe. On retrouve alors une contradiction parmi les points à l’ordre du jour des deux types de congrès: d’un côté, ceux qui ne sont pas techniquement “féministes” (en vertu de quoi, au juste?) et, de l’autre, ceux traitant d’enjeux spécifiquement féministes. Or, nous croyons fermement que tout ce qui est d’intérêt politique est d’intérêt féministe.C’est justement en séparant ce qui peut être d’intérêt féministe de ce qui n’est pas sensé l’être qu’on fragilise l’analyse féministe et, par conséquent, son potentiel politique. Si les féministes ont souvent reproché aux militants de faire une séparation entre le travail dit productif et celui reproductif ainsi qu’entre les questions d’ordre public et privé, il serait bien mal venu de renforcer cette pensée binaire. C’est ainsi que nous considérons que le féminisme doit être mis en pratique dans l’ensemble des structures du provincial. Cela importe d’autant plus à la lumière du tour de table portant sur ce sujet lors du congrès il y a quelques jours, où peu d’associations étudiantes ont dit avoir des principes, des pratiques et des revendications féministes. Des discussions s’en sont suivies lors d’un caucus non-mixte et certaines personnes de l’équipe provinciale ont mentionné que le congrès femmes servirait à créer un espace de discussion à travers lequel les associations étudiantes ayant des lacunes à ce niveau pourront apprendre et mieux intégrer par la suite des positions et des principes au local. Cela étant dit, si peu d’associations étudiantes peuvent prendre part activement au congrès et que peu de propositions, de revendications ou de plans d’action peuvent être traités, à quoi bon?

En ce sens, nous remettons aussi en question l’utilité d’avoir un point “Femmes” lors des congrès. La structure patriarcale de l’ASSÉ (celle à laquelle on réfère quand on dit que le syndicat n’est pas extérieur à la société) contribue à cette séparation et celle-ci maintient le statut du féminisme comme enjeu de second ordre. Si on suit cette logique, la moindre des choses serait qu’un point “Femmes” soit tenu sous l’ensemble des points à l’ordre du jour! Sans cela, le point “Femmes” devient le seul moment où il est possible de discuter et de prendre position sur ce qui a trait aux luttes des femmes. Malheureusement, la réalité est que ce point devient souvent “facultatif” car il n’est pas atteint en fin de congrès, faute de temps et d’intérêt et lorsque, par chance, on finit par s’y rendre, les quelques propositions et revendications apportées demeurent effleurées, génériques ou mises en dépôt (qu’elles viennent ou non de Marie-Vic…) puisque la plupart des associations membres n’ont pas de mandat en ce sens. Que l’on blâme les associations locales, qui n’ont pas assez abordé les enjeux féministes en assemblée générale, ou bien l’équipe provinciale, qui n’a pas su mobiliser et (in)former les étudiantes et étudiants au local (ou bien un peu des deux), cela n’a pas une grande importance. Ce qui garantit la prise en compte d’un angle féministe et des intérêts spécifiques des femmes dans l’ensemble des enjeux et dossiers est sans conteste l’organisation de comités féministes jouissant d’une autonomie absolue ou partielle à chacun des niveaux du mouvement.

Féminisme de façade au provincial

Se dire féministe ou pro-féministe est, de nos jours, bien vu en milieu militant, mais la mise en pratique conséquente des principes à la base des identités politiques ne suit souvent pas ces prétentions. Dynamiques de domination, violence à l’égard des femmes, attitudes paternalistes, culture du viol et sexisme ordinaire font partie du quotidien de beaucoup, voire de toutes les militantes. Nous croyons que ces phénomènes sont dus en majeure partie à la structure patriarcale de l’ASSÉ qui, rappelons-le, possède historiquement un mandat à ce sujet: “Que l’ASSÉ intègre à son discours une analyse antipatriarcale et anti-sexiste” (adopté au Congrès des 10, 11 et 12 février 2006). Ce n’est pas nouveau : plusieurs dynamiques malsaines contribuent au maintien de ce système nuisible pour les femmes, par exemple le fait d’accorder systématiquement plus de crédibilité aux propos d’un homme et/ou plus de crédit au travail effectué par ceux-ci. Aussi, dans les différentes instances, les hommes vont avoir tendance à prendre la parole plus souvent et à parler plus fort. D’ailleurs, même au niveau des postes de pouvoir, les femmes sont minoritaires au provincial, détenant 3 sièges sur 8 sur le conseil exécutif alors que l’article 27 des Statuts et règlements stipule que “le Congrès se doit d’assurer une représentativité de 50 % de femmes au sein de l’instance. Toutefois, le Congrès demeure souverain de la décision finale.” (annexe 2) Cela étant dit, le fait que le congrès est pratiquement paritaire, mais qu’il y a une masse silencieuse de femmes est aussi une lacune en soi. De toute façon, c’est maintenant une réalité politique connue que la parité des sexes dans les instances décisionnelles ne permet pas d’enrayer ni même d’atténuer significativement les conditions objectives permettant la reproduction de la domination et l’exploitation des femmes dans une organisation, et encore moins dans un mouvement. Les C.A d’universités, d’instances régionales gouvernementales et même de multinationales tendent à devenir paritaires, ne rendant pas pour autant leurs prises de décision plus légitimes ou valables pour les populations qui les subissent. Nous croyons donc plus efficace de miser sur le développement d’une culture politique non-bureaucratique et non-hiérarchique au sein du mouvement féministe et étudiant.

Le milieu militant est également rongé par la hiérarchisation du savoir, un des exemples les plus flagrants de cette situation étant la différenciation entre cégépien.ne.s et universitaires soi-disant basée sur l’expérience, les lectures, le “moi aussi quand j’étais au cégep je pensais comme toi, mais aujourd’hui j’ai changé”. C’est aussi un problème récurrent à l’ASSÉ, entre les personnes élues et les… autres. En fait, cette dynamique est, selon nous, la cause de la centralisation du pouvoir observable au provincial : alors que les élu.e.s devraient bénéficier d’une confiance absolue, on ne fait pas confiance au “simple membre” lorsqu’il s’agit de prendre en charge des tâches et d’en être redevable, de réfléchir à des ateliers, de donner son avis sur des sujets politiques, etc. Passer du matériel d’information écrit par d’autres, réserver des salles et participer au financement… Voilà des tâches adéquates pour les non-élu.e.s! Les membres du CF-MV jugent qu’il est plus que temps que l’on brise cette barrière; les connaissances sont des choses qui s’acquièrent et qui se partagent à travers l’expérience, la collaboration et un réel respect.

Les membres du CF-MV sont conscientes des difficultés que peuvent vivre les membres du CF-ASSÉ, puisqu’elles sont peu nombreuses. Cette situation perdure depuis des années au sein du CF-ASSÉ. Quelques textes ont déjà été écrit au sujet de ces difficultés. Rappelons que l’un des buts premiers de ce comité est d’assurer la promotion des différents enjeux féministes à travers les instances jusqu’à informer la société, tel que décrit dans l’article 42 des Statuts et règlements (annexe 3). Le travail du CF-ASSÉ devrait davantage être de donner un coup de pouce à la mise sur pied, à la dynamisation et à l’autonomisation des comités femmes au local plutôt qu’au développement d’une structure provinciale au sein de laquelle ces comités sont facultatifs, voire exclus. La majorité des féministes étudiantes s’organisent en groupes affinitaires et en comités autonomes; le provincial devrait tenir compte de cet aspect, au lieu de tenter vainement de réformer les féministes. Une ex-élue du comité de formation a récemment souligné dans sa lettre de démission qu’elle doutait que l’ASSÉ soit encore “un véhicule de combat capable de lutter efficacement contre les politiques néolibérales”. Nous en pensons autant pour l’organisation des féministes étudiantes.

Ce sont donc pour toutes ces raisons que les membres du comité féministe du SECMV ne seront pas présentes lors du camp de formation féministe. Pour ce qui en est du congrès femmes, nous y serons mais en tant qu’observatrices, et non à titre de délégation. Par ailleurs, le comité féministe du SECMV organisera prochainement un camp de formation féministe ouvert à toutes et à tous, en collaboration avec quiconque (individu, comité, collectif, etc.) désirant s’impliquer dans ce projet.

Comité féministe du SECMV

Valérie Berthiaume
Alice Brassard
Chanel Fortin
Ariane Renaud

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  1. Kathy Ferguson, Bureaucratie et vie publique: la féminisation de l’appareil politique