Dans le cadre du modeste travail sur le salariat étudiant que j’ai effectué ces derniers temps avec plusieurs militant-e-s étudiant-e-s et d’autres allié-e-s, j’ai pu me familiariser davantage aux plus récentes incarnations des limites et contradictions de longue date du mouvement étudiant québécois. Mes connaissances en la matière ne sont pas que théoriques: après avoir milité à l’UQAM puis à l’ASSÉ au début des années 2000, je suis devenu permanent à l’asso de Maisonneuve (SOGÉÉCOM); heureusement, je m’étais promis de ne pas me laisser transformer comme d’autres en dinosaure pathétique qui gère sans vergogne une association du relatif confort de son bureau pendant des décennies, et j’ai donc quitté cet emploi quatre ans plus tard. Je n’ai jamais regretté mon départ, ce qui ne m’a pas empêché par la suite d’observer de loin bien des péripéties étudiantes, notamment les échecs de 2012 et de 2015.
Mon statut de non-étudiant et mes autres priorités politiques m’interdisent de me jeter à bras raccourci dans la fosse aux lions de la game étudiante comme auparavant. Il est cependant une catégorie de travailleurs et de travailleuses envers qui je tiens à laisser tomber temporairement ces scrupules: mes collègues de jadis, les employé-e-s permanent-e-s d’assos. Après tout, plusieurs d’entre eux et elles ont un lien aussi ténu avec la condition étudiante que moi, et leur poids sur les affaires étudiantes demeure pourtant considérable et rarement pris au sérieux. Ma rechute tient au fait qu’on m’a rapporté que les vieilles blagues de syndicalisation des permanent-e-s que nous faisions à l’époque sont aujourd’hui en voie de devenir non seulement réalité mais même la norme, ignorant ainsi les périls d’une oligarchie imperméable à la souveraine volonté des assemblées générales de par le double blindage des protections du Code du travail et d’une « solidarité syndicale » poussée à l’absurde, une menace qui s’est déjà concrétisée dans les milieux syndicaux et communautaires avec les résultats catastrophiques que l’on sait.
En fait, je voulais surtout publiciser un passage du procédurier que j’avais écrit peu avant mon départ de la SOGÉÉCOM et qui traitait justement de ces questions. Je ne l’avais pas écrit en pensant un jour le diffuser et j’y ajouterais sans doute bien des nuances et conseils aujourd’hui mais sur le fond, je ne changerais rien à ce qui s’y trouve déjà. Le voici donc intégralement:
Principes de base d’une permanence étudiante honnête
Peu importe les penchants politiques des personnes me succédant, j’ai écrit l’ensemble de ce procédurier en assumant que la SOGÉÉCOM conservera au moins sa ligne démocratique et combative reconquise de chaude lutte au cours des dernières années. Que cela soit le cas ou non, je me permets tout de même un bref exposé de ma pensée quant au sens à donner aux postes d’employé-e-s dans les associations étudiantes, face auquel j’invite tous et toutes à réfléchir.
L’existence de permanences est un grave symptôme de l’affaiblissement historique du mouvement étudiant et y contribue généralement de par les intérêts matériels que les employé-e-s possèdent en son sein et la ligne bureaucratique que ces personnes sont donc naturellement enclines à défendre. Il s’agit d’une contradiction de taille pour toute politique combative et l’objectif à long terme de toute permanence honnête ne peut donc qu’être la création et le renforcement d’un degré d’organisation propre à l’élimination des postes de permanence.
La stratégie pour y parvenir est un travail rigoureux de la permanence pour susciter une implication supérieure (quantitativement et qualitativement) des militant-e-s et de la base pour ensuite leur transférer progressivement ses mandats – à commencer par les plus politiques – en contribuant à ce que ladite rigueur y soit au moins maintenue. Il va de soi qu’en bout de ligne, un tel processus implique ou bien une réduction du nombre d’heures de travail des employé-e-s de l’association, ou bien une diversification temporaire de leurs activités.
Le travail de permanence peut placer un individu face à certaines contradictions entre l’association, les décisions de ses instances et les délégué-e-s dont elles se dotent, mettant en jeu son intégrité. Bien qu’il puisse sembler profitable à court terme pour un-e employé-e de prioriser l’opinion de l’exécutif (qui sont en définitive ses boss) et ce, même lorsqu’elle va à l’encontre ou « contourne » les organes supérieurs de l’association, cela ne peut qu’être désastreux à long terme dans la mesure où les changements légitimes peuvent être apportés démocratiquement et que tout finit par se savoir. Il m’est donc nécessaire de réaffirmer que la loyauté politique d’une permanence honnête va d’abord aux Statuts et règlements de l’association, puis aux décisions d’AG et ensuite au Conseil exécutif, quitte à ne pas vous y faire que des ami-e-s…
De par son statut de salarié, le permanent honnête est donc tenu d’incarner un modèle pratique de rigueur et d’intégrité, non seulement pour supporter de son mieux les personnes auxquelles il est redevable mais aussi pour mettre de la pression sur les autres permanents afin qu’ils agissent ou soient contraints d’agir de même. L’important travail de critique des permanences incombe cependant à la population étudiante elle-même plus que tout autre dossier de politique étudiante, de par les intérêts matériels des employé-e-s. Lorsque la critique constructive ne suffit pas, le renvoi d’un permanent malhonnête est une tâche vitale pour tout militant soucieux du développement à long terme de son association étudiante, bien que cela soit difficile à accomplir. L’embauche et la formation d’une permanence honnête le sont tout autant.
Comprenez-moi bien. Cette job-là, je l’ai occupé pendant un bon moment, et je sais très bien comment elle peut souvent être stressante, ingrate et compliquée. Je peux aussi reconnaître sans problème que je l’ai assurément eu plus facile que bien d’autres, n’ayant pas vraiment subi de tensions quant à des heures impayées, des horaires poches, des locaux insalubres ou des menaces de renvoi injustifiées, par exemple. De tels problèmes sont réels et il est normal et pleinement justifié d’entreprendre des démarches pour y remédier. Par contre, force est d’admettre – et ça aussi je le sais d’expérience – que de dégoter une telle job vient généralement avec tout un lot de privilèges problématiques se manifestant de mille et une façons plus ou moins subtiles. Ce que le passage ci-dessus propose, c’est que les permanent-e-s fidèles aux principes de démocratie directe et qui souhaitent donc s’extirper de cette contradiction malaisante le fassent à l’aide d’une stratégie ouverte de disempowerment et de remobilisation syndicale de la base; toute syndicalisation des permanences, et donc pérennisation de celles-ci, pointe ultimement en sens inverse, même lorsqu’accomplie en désespoir de cause ou avec les meilleures intentions du monde.
Bien sûr, je crois qu’un-e permanent-e peut agir globalement en s’assurant que ses intérêts personnels n’entrent pas en contradiction avec ceux du mouvement étudiant de gauche; cela s’est souvent vu et se voit encore, même si je ne crois hélas pas qu’il s’agisse de la norme. Mais même si ces constats les vexaient, ce petit texte ne s’adresse pas tant à mes ancien-nes homologues qu’à la population étudiante en général, pour laquelle j’ajouterai ceci: il n’est pas normal ni sain que des employé-e-s qui vous coûtent cher et qui agissent à temps partiel en véritables commissaires politiques échappent à votre contrôle en assemblée générale. Comment le mouvement étudiant peut-il tolérer depuis si longtemps un tel problème de bureaucratie, votre pouvoir en la matière étant presque toujours cédé à vos exécutifs et au droit bourgeois? Si la tâche de dépermanentisation vous intéresse, sachez cependant qu’elle sera sans doute longue et rude; c’est toujours le cas lorsqu’on veut s’attaquer au statu quo dans les mouvements sociaux, surtout quand des gagne-pain sont en jeu. Mais n’oubliez jamais que c’est d’abord et avant tout à vous de déterminer si, quand et comment elle aura lieu, et d’agir en conséquence.