Un salaire sans les droits
Réaction au rapport Granger sur la rémunération des internats en psychologie
Il aura fallu deux mois et deux jours de grève des doctorantes en psychologie avant de voir apparaître les premiers signes de concession de la part du gouvernement. Le dépôt récent d’un rapport attendu depuis l’été laisse entrevoir que les étudiantes auront gain de cause : selon toute vraisemblance, une compensation de l’internat sous forme de bourse sera mise en place. Curieusement, la pierre d’achoppement n’est pas l’allocation financière comme telle ni même la reconnaissance du travail fourni par les étudiantes; elle concerne plutôt la reconnaissance de leur statut d’employées.
Pour faire une histoire courte, la ministre de l’Éducation supérieure avait commandé en juin dernier un rapport sur la rémunération de l’internat en psychologie à l’ancien président de l’Ordre des psychologues du Québec, Luc Granger. Constatant que la grève des stages et internats, qui se tramait depuis l’automne précédent dans six universités, allait bel et bien se concrétiser à la rentrée, la Ministre désirait qu’on lui formule des pistes de solution pour résoudre le conflit. Le rapport a finalement été publié la veille des élections américaines, avec quelques semaines de retard sur les délais prévus.
Que dit le rapport Granger? Essentiellement, que tous les témoignages recueillis, du côté des directions universitaires comme des gestionnaires d’établissements de santé et de l’ordre professionnel, reconnaissent le service rendu à la population par les internes et concèdent que ce travail mérite un soutien financier. Alors que la Fédération interuniversitaire des doctorants en psychologie (FIDEP) demande depuis le début une compensation annuelle à hauteur de 45 000 $ pour l’internat, comme c’est le cas en médecine, le rapport recommande plutôt de leur allouer une bourse d’un maximum de 25 000 $. Pour les quelque 1 600 heures de travail exécuté, ce montant correspondrait à un peu plus que le salaire minimum de 15 $ de l’heure réclamé à grands cris par toutes les organisations syndicales québécoises.
Mais le passage le plus intéressant du rapport concerne le mode d’allocation: il suggère que les internes ne soient pas rémunérées par l’institution qui les accueille, mais qu’elles reçoivent plutôt un soutien financier sous forme de bourse. Pourquoi privilégier une bourse plutôt qu’un salaire? Luc Granger réitère pourtant à plusieurs reprises dans son rapport que les internes effectuent les mêmes tâches que les psychologues, entre 71% et 80% du temps, et que le service ainsi rendu dans le réseau de la santé est indéniable.
En fait, la première crainte exprimée à cet effet dans le rapport concerne… le risque de syndicalisation: «Rien ne dit que si les internes deviennent des « employées » d’un organisme, il n’y aura pas de tentative de syndicalisation. Étant donné que le Code du travail au Québec n’est pas le même que dans les autres provinces canadiennes et est souvent vu comme étant plus favorable à la syndicalisation, il serait passionnant pour les juristes de débattre devant le Commissaire du travail à savoir si nous avons affaire à des étudiantes ou à des employées. Une personne peut-elle être une employée syndiquée dans un travail qui est en fait un cours universitaire pour lequel elle reçoit aussi des crédits académiques?» (p. 16-17).
Ainsi, on voudrait bien donner des sous aux internes, mais quand même pas les moyens de faire valoir leurs droits pour exécuter leur travail dans des conditions acceptables, comme l’accès à l’assurance emploi et à l’accumulation d’ancienneté dans le réseau. Granger a beau souligner que sa plus grande inquiétude concerne «la mise en veilleuse possible du devoir de supervision par rapport aux besoins de l’employeur» provoqué par le salariat, on comprend mal, en consultant l’ensemble du document, en quoi la supervision serait en jeu, puisque cette dernière n’implique pas qu’une psychologue accompagne l’interne pour l’exécution de chacune de ses tâches. Avant d’aller en internat, les doctorant-es ont déjà effectué quelque 700 heures de stage et ne sont donc pas des «professionnelles débutantes qu’il faut superviser de façon constante» (p. 13). Le Manuel d’agrément des programmes de l’Ordre des psychologues stipule d’ailleurs que les étudiantes sont en mesure d’effectuer toutes les tâches d’une psychologue dès l’internat, sauf pour certains actes qui doivent être obligatoirement supervisés.
Les besoins de supervision sont autres. Ils consistent principalement en des rencontres individuelles entre la professionnelle et l’étudiante, où celle-ci peut, malgré le secret professionnel, parler de sa clientèle et recevoir du feedback et des conseils sur ses interventions. Du temps obligatoirement alloué à cet exercice peut aisément être inclus dans un contrat d’internat, que la compensation soit sous la forme d’un salaire ou d’une bourse.
On se retrouve ainsi devant un curieux phénomène: on reconnaît les internes comme une main-d’œuvre qualifiée mais, au même moment, on limite leur possibilité de s’organiser pour être respectées. Voilà un exemple concret de l’intérêt de réclamer la pleine reconnaissance du travail étudiant, autant pour la valorisation du service produit que pour ce qu’il implique en termes de droits. Malgré les menaces d’échec de l’internat brandies par certaines directions et malgré les difficultés à maintenir une grève volontaire des stages, rien ne sert à l’heure actuelle d’accepter n’importe quelle offre, fut-elle d’apparence raisonnable. Au contraire, maintenir la pression sur le gouvernement, par la grève, jusqu’à l’obtention d’un salaire et du statut d’employées est maintenant tout à fait envisageable. Plus encore, la lutte des doctorantes en psychologie est un précédent inspirant pour les étudiantes et étudiants des autres programmes d’études. Le travail étudiant non payé a une grande valeur, et il est plus que temps de nous organiser pour réclamer notre dû.
Étienne Simard
avec la collaboration de Raphaëlle Paradis-Lavallée, de Catherine et de Marie-Soleil, étudiantes de psychologie en grève, et des militantes des Comités unitaires sur le travail étudiant.