Entre pitié et mépris
Le 5 septembre dernier paraissait dans La Presse une lettre ouverte[^1] signée James Boudreau, président de la CADEUL. Dans cette lettre, James prenait la parole au nom de ces stagiaires sans salaire. Cet homme s’accordait le droit de parler au nom de stagiaires des domaines féminisés qu’il faudrait prendre en pitié. Une semaine plus tard, la présidente de l’UEQ[^2] prenait le micro à l’assemblée nationale[^3]. Elle affirmait, fièrement, prendre la parole pour les personnes stagiaires. « Brûlées à la tâche », iels méritent rémunération et représentation, mais pas voix au chapitre. Entre pitié et mépris, il n’y a qu’un pas.
Les associations étudiantes nationales n’ont jamais servi la cause des stagiaires. Au plus fort des moyens de pression de la grève de tous les stages mobilisée à l’origine par les CUTE[^4], l’UEQ a lancé une campagne concurrente en février 2019, ironiquement nommée Stagiaires en solde. En évacuant la critique des institutions d’enseignement et des employeur-es et une bonne partie de l’argumentaire féministe, cette campagne revendiquait une compensation plutôt qu’une rémunération des stages et ce, seulement pour les stages terminaux. La compensation des stages que revendiquait l’UEQ ne permettait pas de protéger les stagiaires contre les abus et ne faisait qu’offrir des broutilles en échange de la collaboration des étudiant.es des professions féminisées. Stagiaires en solde mettait donc effectivement les revendications des stagiaires en liquidation en se réappropriant le travail de nombreuses stagiaires en colère pour en évacuer toute saveur politique et féministe dans le but de faire des gains faciles pour une association nationale qui peinait à convaincre de sa raison d’être.
Rien n’a changé depuis et la campagne organisée par la FECQ et l’UEQ joue le même rôle: une belle excuse pour faire des points de presse à l’assemblée nationale. La campagne la plus récente de la FECQ et de l’UEQ, Au front pour la rémunération, n’a pour seuls avantages que d’avoir changé de nom et de demander désormais une rémunération plutôt qu’une compensation. Même si on peut saluer le pas en avant effectué, les fédérations tombent encore dans les mêmes pièges: les président.es d’immenses associations représentant supposément des stagiaires qui sont parfaitement capables de parler en leur propre nom. C’est le discours développé par des stagiaires qui a poussé l’UEQ et la FECQ a abandonner l’idée de compensation pour passer à la rémunération, voix qu’ils essaient toujours de faire taire pour mieux garder le contrôle du débat. En adoptant les revendications pour la salarisation des stages, les fédérations étudiantes se parent des atours des revendications féministes sans pour autant s’intéresser à leur substance.
Force est d’admettre que les fédérations étudiantes du Québec ont plus besoin des stagiaires mobilisées que les stagiaires ont besoin des fédérations. Le système de la santé et des services sociaux au Québec est dans un tel état de délabrement que quelques semaines de grève des stages auraient pour effet d’hypothéquer gravement le système en entier et ça effraie manifestement le gouvernement du Québec. La grève des stages de 2019 l’a démontré. À travers les nouvelles bourses Perspective Québec et les modifications dans la loi sur les normes du travail qui accordent des protections limitées aux stagiaires[^5], le gouvernement Legault cache mal sa peur. Les étudiantes des soins détiennent manifestement les cartes les plus puissantes de la lutte étudiante à l’heure actuelle. Malgré cela, il reste peu probable que les fédérations aident les stagiaires à organiser une grève des stages. Les revendications sur la salarisation des stages sont faciles à instrumentaliser pour mieux les dilluer vers quelque chose de plus digestible pour le gouvernement du Québec et, encore une fois, mettre les stagiaires et leurs revendications en solde.
Les fédérations étudiantes ne sont pas seulement des lieux de réappropriation: ce sont aussi des trous noirs de temps. Elles nous imposent, par leurs mirages de grandeurs, des horaires sur lesquels nous n’avons aucun contrôle et des procédures infinies qui ne font bien souvent avancer aucun objectif concret. Toutes ces heures passées à s’impliquer dans des structures imprenables devraient être utilisées à meilleur escient.
Pour mener une grève qui mènera à un salaire, il faut ancrer les revendications dans les expériences vécues des stagiaires plutôt que dans des structures absurdes et aliénantes. Bien sûr, faire des ponts avec les autres étudiant-es et leur condition reste nécessaire: une lutte des stagiaires victorieuse nécessitera l’aide et l’appui de nombreux.ses allié.es et le décloisonnement des stages comme lutte étudiante distincte. Stagiaires et étudiant.es doivent prendre la parole pour témoigner de leurs conditions sans passer par le filtre de la représentation par autrui. Les fédérations n’ont jamais servi leur cause et il est difficile de croire que cela changera. Toute participation des associations étudiantes nationales dans cette lutte devrait être accueillie avec un brin de méfiance. Les stagiaires se suffisent à iels-mêmes et le contexte actuel prouve que leur pouvoir n’a jamais été aussi manifeste.
Gabrielle Laverdière
Félix Dumas-Lavoie
[^1]: La Presse, Une énième rentrée marquée par des stages non rémunérés: https://shorturl.at/isxF0
[^2]: Union Étudiante du Québec (UEQ)
[^3]: Lien Youtube: https://www.youtube.com/watch?v=jWAcRO16yVs
[^4]: Comités Unitaires sur le Travail Étudiant (CUTE)
[^5]: La Presse, un projet de loi pour la protection des stagiaires adopté: https://shorturl.at/eknHX