Erreur de diagnostic

Peu de gens savent que les doctorant.e.s en psychologie menacent de ne pas effectuer leur stage de fin d’études à l’automne 2016. Moyen de pression inédit pour les futur.es psychologues qui réclament, par le biais de la Fédération interuniversitaire des doctorant.es en psychologie (FIDEP), une compensation financière pour les doctorant.es complétant leur internat. Ne niant pas que la tâche accomplie par les internes en psychologie constitue un travail, la fédération considère toutefois qu’une rétribution via une bourse, et non un salaire, protègerait les internes des compressions budgétaires dans les services publics. Le raisonnement est semblable du côté des étudiant.es en éducation de l’UQAM. À l’occasion d’un débat en assemblée générale, l’argumentaire pour la rémunération des stages se heurtait à la conception du statut des étudiant.e.s au moment du stage: n’étant pas syndiqué.e.s, on estimait qu’on ne pouvait les considérer comme travailleurs et travailleuses, et par le fait même, on ne pouvait revendiquer un salaire.

FIDEP

La Fédération interuniversitaire des doctorant.es en psychologie (FIDEP) représente les doctorant.es en psychologie de 6 campus universitaires. Depuis 2006, la FIDEP réclame une compensation financière pour les doctorant.es qui complètent leur internat, c’est-à-dire leur stage de fin d’études.

C’est en 2015, lorsque la prime pour les psychologues oeuvrant dans le secteur public obtenue dans le contexte des démarches sur l’équité salariale est coupée¹, que l’Association des psychologues du Québec (APQ) brandit la menace de boycotter les internats. La FIDEP emboîte le pas: ceux et celles qui devront bientôt exercer dans les mêmes conditions que leurs acolytes du réseau public bénéficient des moyens de pression de l’APQ tout en poussant la revendication pour la rémunération des stages, établissant du même coup ce qui représente un rare moment de solidarité entre professionnel.les et futur.es professionnel.les. La grève des internes en psychologie à l’automne 2016 est donc devenue le principal levier de négociation de la FIDEP. Non seulement leurs revendications ont fait écho dans les médias, mais les appuis de l’Ordre des psychologues du Québec et des départements de psychologie des différentes universités ont augmenté significativement leur crédibilité².

La prime accordée aux psychologues du secteur public a depuis été rétablie mais l’APQ a décidé de maintenir le boycott des internats afin que celle-ci soit convertie en hausse salariale, ce qui marquerait un trait final sur les démarches pour l’équité salariale³. L’appel à la mobilisation est donc lancé et le 7 janvier 2016, la FIDEP et l’APQ annoncent une union des deux organisations pour le maintien du boycott des internats, toujours dans le but d’obtenir une rémunération adéquate des psychologues et neuropsychologues⁴. Pour les doctorant.es en psychologie la grève des stages, appelée boycott, représente le moyen ultime pour démontrer l’importance de leur travail dans le système de santé québécois. Et cette fois, cette grève étudiante s’annonce victorieuse.

Pour la FIDEP et ses allié.es, il ne fait aucun doute que la réalisation des 80% de la tâche du psychologue, à raison de 32 heures par semaine, accomplie lors de l’internat mérite une rétribution. Ce niveau d’autonomie et de responsabilité, comparable à celui des résident.es en médecine qui perçoivent une rémunération, justifie en contrepartie, selon cette organisation, la distinction entre les stagiaires en psychologie et dans d’autres disciplines. La position défendue par la FIDEP est qu’un stage implique une dimension pédagogique par la supervision professionnelle, tandis que l’internat est, en quelque sorte, un tremplin vers la pratique professionnelle; une période probatoire avant d’exercer sa profession de façon autonome⁵.

Cette distinction, qui occupe une place importante dans l’argumentaire de la FIDEP, est non seulement élitiste, mais laisse derrière les autres stagiaires, qui donnent gratuitement leur force de travail et se précarisent, sans nécessairement accéder à l’éventuel internat. La distinction s’applique aussi aux infirmièr.es en pratique spécialisée: celles et ceux qui complètent la maîtrise sont rémunéré.es par le public pendant leur stage alors qu’elles doivent réaliser le même travail gratuitement lors des stages précédents. Il semble alors se dessiner une séparation en ce qui concerne la rémunération des stagiaires qui auront les ressources pour atteindre un niveau d’études supérieures et les autres. Pourquoi les gestes posés par les internes sont qualifiés de «gestes professionnels» alors que ceux posés dans un service de garde, une école ou un CLSC ne le sont pas? La valeur d’un travail ne devrait pas se mesurer au pouvoir de son ordre professionnel. Aider des élèves à développer des savoirs variés et émettre une prescription sont deux pratiques tout aussi professionnelles l’une que l’autre.

Le travail bénévole n’est pas seulement réalisé lors de l’internat. Un étudiant témoigne que, par exemple, pour accéder au doctorat en neuropsychologie, il a constaté que deux options sont possibles, soit obtenir des résultats prodigieux, ce qui est nettement plus facile sans l’obstacle d’un travail rémunéré, soit faire du travail gratuit. Cette dernière option s’adresse aux étudiant.es qui n’atteignent pas les résultats escomptés. Quand on dit bénévolat, il s’agit d’une espèce de taxe à la réussite où l’aspirant.e psychologue va effectuer des heures de travail auprès d’un.e ou de plusieurs enseignant.es en les assistant lors de recherches, de corrections ou d’expérimentations. Ces travaux devraient pourtant être reconnus et rémunérés dans l’enceinte universitaire.

Le bénévolat peut aussi se poursuivre lors des périodes de clinique obligatoire, où l’on doit se plier à plus d’ouvrage, et ce sans compter les heures de stages, les rapports des client.es durant les périodes de cliniques et les travaux académiques (recherches, rapports et préparation). Il est pratiquement impensable d’ajouter un travail rémunéré à cette liste déjà surchargée. Bien qu’il ne s’agisse pas d’une politique officielle, cette « chance de réussite supplémentaire » engendre encore une fois une exploitation du travail étudiant. En effet, les responsables de l’enseignement ont le dernier mot sur le résultat final; il est donc courant que les étudiant.es en situation instable au niveau académique sont amené.es à rendre ces dits « services ». On associe donc la réussite à des motivations personnelles, sans remettre en question les conditions d’inégalités sociales.


Revendiquer un salaire pour l’ensemble des stagiaires, c’est court-circuiter la logique de hiérarchisation des métiers, professions et niveaux d’études. Par exemple, la séparation hiérarchique entre les médecins et les infirmières joue un grand rôle dans la rétribution financière du travail des stagiaires de ces domaines; les résident.es en médecine étant rémunéré.es contrairement à la majorité des infirmières en stage⁶. Et que dire des étudiantes sages-femmes qui font des stages gratuitement et en continu pendant trois ans dans le cadre d’un bac de quatre ans et demi, le jour comme la nuit, souvent loin de leur domicile, tout en sachant, qu’une fois sur le marché du travail, elles seront payées environ 1 $ par heure de garde. Cette hiérarchisation ne date pas d’hier puisque l’entrée des infirmières dans les hôpitaux et les asiles s’est faite en supprimant les connaissances et les savoir-faire des sages-femmes et avant elles des sorcières. Depuis, le métier d’infirmière s’est formalisé comme fonction subalterne en complémentarité avec celui de médecin, secteur historiquement contrôlé par la bourgeoisie masculine⁷. On comprend mieux pourquoi ceux et celles qu’on appellera bientôt doc, avec leurs six années de psychologie à l’université, revendiquent d’être traité.es comme leurs homologues médecins.

Tout récemment, une nouvelle initiative étudiante est née, soit l’ouverture, le 1er septembre 2016, d’une auberge autogérée des étudiantes sages-femmes québécoises (AAESFQ). La mission de l’auberge est de permettre un hébergement à proximité, car le programme en soi demande beaucoup de déplacements, et de diminuer les coûts. De plus, l’auberge veut amener l’esprit d’entraide financière et logistique: établir un budget, faire du covoiturage, créer une cuisine collective et se faire des alliées. De par leur cotisation étudiante provenant des frais de scolarité payés chaque session, à l’Association des étudiantes sages-femmes du Québec (AESFQ), un pourcentage du montant versé va directement à l’auberge. Les étudiantes sages-femmes ont donc de facto le titre de membre de l’auberge (AAESFQ). De cette façon, les futures sages-femmes ont accès à tous les services qu’offre celle-ci, selon la disponibilité des lieux et les tarifs fixés.

Mais la proposition de salarier les stages n’est pas une fin en soi; c’est plutôt un point de départ pour politiser la reproduction sociale via les institutions scolaires, par la voie du travail étudiant. Bien qu’il s’agisse d’une revendication rassembleuse, il faudra d’abord renverser la tendance actuelle à la compétition non seulement entre les personnes en formation, mais aussi entre les professions. Jouer la carte de l’identité professionnelle ne permet que de formuler quelques réformes à la pièce, qui ne profite qu’à une minorité. Il n’est donc pas surprenant que la lutte menée par la FIDEP se fasse surtout dans une logique corporatiste, où l’on souligne l’importance du travail des prochain.es psychologues, dans l’espoir de voir naître de nouveaux programmes de bourses⁸. Cependant, la perspective d’une rémunération pour des stagiaires venant d’un domaine à cheval entre la médecine et les sciences sociales, comme la psychologie, offre l’opportunité d’une alliance pour une rémunération de l’ensemble des stagiaires. La grève dans le domaine de la psychologie représente une brèche politique importante à saisir pour le mouvement étudiant. Il est commun aux campagnes de grèves étudiantes d’en exclure les stagiaires, comme des intouchables, des exceptions à la règle. Parfois il s’agit de raisons pratiques; les stagiaires sont dispersées géographiquement, mais aussi par peur de l’inconnu, de ce qui pourrait vraiment arriver si les stagiaires s’organisent politiquement de manière sérieuse. Car nul ne peut ignorer que les stagiaires détiennent un moyen de pression des plus importants⁹.

En d’autres mots, un support aux moyens de pression des étudiant.es en psychologie est nécessaire, mais en dépassant la logique corporatiste des différentes professions, héritée des ordres professionnels et transmise par les institutions scolaires. Pour y parvenir, nous invitons les personnes motivées à s’organiser dans tous les campus en comité de travail afin d’entamer la réflexion pratique sur le travail étudiant. Mais qu’est-ce que ça peut vouloir dire? D’abord, parler à ses collègues de classe et former un petit groupe, partager des problématiques vécues et trouver des solutions concrètes pour les dépasser. Ensuite, entrer en contact avec des stagiaires en psychologie, en éducation ou tout autre domaine ciblé par le travail gratuit, pour afficher un appui à leurs mouvements. Et qui sait, pourquoi pas convaincre ses collègues de faire la grève des stages pour réclamer le plein salaire de l’ensemble des stagiaires!¹⁰

Alice Brassard

Héloïse Lanouette

Amélie Poirier

Camille Tremblay-Fournier

Valérie Simard

Cet article a été publié dans le numéro de cet automne du CUTE Magazine.

  1. Une prime d’abord obtenue comme mesure d’attraction et de rétention suite aux démarches sur l’équité salariale http://www.apqc.ca/spip.php?article6.
  2. Lettre d’appui au sujet de la rémunération des internats en psychologie, FIDEP, 2015. http://fidep.org/content/images/2015/05/2015-02-13-lettreappuiopq.pdf
  3. “Et il faut insister sur le fait que cette prime était le premier pas vers la recherche de solutions permanentes pour contrer une pénurie résultat des problèmes vécus par les psychologues dans le secteur public : non reconnaissance de la formation et de l’expertise, salaire inadéquat, conditions administratives qui réduisent l’autonomie professionnelle, pressions à l’optimisation, etc. http://www.apqc.ca/spip.php?article6
  4. Boycott des internats : les psychologues et doctorant(e)s en psychologie unissent leur voix, APQ, 2016. http://www.apqc.ca/mobilisation/?Boycott-des-internats-Les
  5. Les associations étudiantes de psychologie de six universités (ULaval, UQTR, UQAM, UdeS , UQAC et UdeM) se sont prononcées en faveur du boycott des internats et cinq universités (ULaval, UQTR, UQAM, UdeS et UdeM) en faveur du boycott des stages.
  6. Et ce même si la population étudiante en médecine s’est féminisée; bon indice qu’il n’y a rien de biologique là-dedans!
  7. Pour en savoir plus: Sorcières, sages-femmes et infirmières de Barbara Ehrenreich et Deirdre English, 1983.
  8. C’est cette posture de la FIDEP qui a poussé un reporter de La Presse a déclaré en juillet 2016: “La FIDEP ne réclame pas que les 700 heures de stages soient payées. Si c’était le cas, on pourrait comprendre la crainte de Québec de créer un précédent et de se retrouver avec d’autres demandes, notamment celles des futurs enseignants des niveaux primaire et secondaire et de professionnels de la santé”.
  9. D’ailleurs, les psychologues du secteur public qui, à l’heure actuelle, refusent de superviser des stagiaires, en solidarité avec le mouvement, sont menacé.es de représailles par leur employeur, selon lequel il s’agirait d’un moyen de pression illégal de leur part en vertu de la convention collective en cours. Voir l’article de Louis Gagné dans le Journal de Montréal du 3 août 2016 : http://www.journaldemontreal.com/2016/08/03/des-psychologues-menaces-de-represailles
  10. Nous remercions Jaouad Laaroussi, Fred Michaud, Noémie Lemieux, Eddy Larouche pour leur temps et leur témoignage qui nous ont permis de réaliser ces textes.
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