La grève qui fait peur

Manifestement, la grève des cours et des stages fait peur, pas seulement parmi  les directions d’établissement ou de départements, mais aussi chez les étudiant.e.s. À la suite de la tenue de plusieurs journées de grève dans les deux dernières années, et même d’une semaine complète pour plusieurs associations réparties à travers la province, les réactions à ce moyen de pression n’ont pas tardé à surgir. Que ce soient les directions d’écoles qui inventent les motifs justifiant la reprise des heures de stages manquées à cause de la grève ou l’administration du cégep du Vieux-Montréal qui force la reprise d’une partie des heures de cours manquées, la grève ébranle les hautes instances administratives. Avec autant de remous, il devient difficile de remettre en question l’efficacité du moyen que les stagiaires se sont donné.e.s. Cela dit, les contre-coups des journées de grève passées et l’inconnu que représente la grève, voire la grève générale illimitée, peuvent freiner plusieurs stagiaires et étudiant.e.s à s’organiser vers le débrayage de leurs cours et de leur stage. Il devient donc nécessaire de revenir sur les réelles conséquences de la grève, qui ont grandement variées d’un campus à l’autre, et sur les implications d’une grève générale illimitée à l’hiver 2019.

Les mouvements étudiants affirment depuis bien longtemps que la grève des cours permet de paralyser le système éducatif afin de faire pression sur le gouvernement pour que celui-ci accède à leurs  demandes. Il s’agissait essentiellement de reproduire dans le monde académique la grève des travailleur.euse.s salarié.e.s comme levier contre les employeurs. Et maintenant, le choix de la grève comme moyen d’action est d’autant plus conséquent avec la revendication de reconnaissance du travail accompli en stage.  La pression économique exercée par la grève des stages est là; en cessant de travailler nous soulignons l’utilité, voire l’essentialité des tâches que nous accomplissons dans nos stages et qui sont invisibilisées sous le couvert de «l’apprentissage». Ainsi, pour améliorer nos conditions de stages, nous affirmons que nous cesserons tout travail gratuit jusqu’à l’obtention de la pleine rémunération et de la reconnaissance légale de celui-ci. Il importe de rappeler que l’arrêt des internats par les doctorant.e.s en psychologie à l’automne 2016 et les journées de grève des étudiant.e.s en enseignement à l’hiver 2018 ont abouti à la compensation de l’internat pour les premiers et du stage final pour les seconds. Pensons également à l’effet provoqué par la mobilisation de l’automne 2018. Malgré que le mouvement soit en marche depuis plus de deux ans,  le nouveau ministre de l’éducation a fait une sortie publique sur la rémunération des stages dès la première journée de grève. De plus, les responsables gouvernementaux du Ministère de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur ont invité des porte-paroles étudiantes à une rencontre sur le sujet. Imaginons maintenant si la grève des stages prenait une encore plus grande ampleur qu’à l’automne. C’est le pari que nous faisons et que nous comptons assurément gagner. Une grève générale illimitée des cours et des stages mettra une telle pression dans les milieux de stage et sur la diplomation des étudiant.e.s que le gouvernement n’aura d’autre choix que de tendre l’oreille à nos revendications pour l’obtention d’un salaire et l’encadrement de nos conditions de travail par la Loi sur les normes du travail.

Ensuite, il y a les représailles de la grève qui font abondamment parler dans les milieux étudiants. Si celles-ci ne se concrétisent pas réellement, elles restent des menaces bien tangibles que nous ne devons pas prendre à la légère. Pour ce faire, il faut être préparé.es et solidaires. On nous sort plusieurs scénarios «catastrophiques» dans le but de semer la peur et la division parmi les stagiaires. On nous parle d’annulation d’une session, de l’impossibilité d’être reconnu.e par un ordre professionnel advenant la non-complétion des heures de stage prévues par le programme, de la mise en échec des stagiaires grévistes, de faire payer aux associations étudiantes les heures supplémentaires des professeur.e.s et des chargé.e.s de cours pour les reprises, etc. Paradoxalement, ces menaces des administrations aux journées de grève ne sont aucunement uniformes, puisqu’elles divergent d’un endroit à l’autre autant sur leur formulation que sur leur application. Dans la plupart des cas, les menaces ne sont pas fondées, et émanent plutôt d’une réaction de panique des administrations prêtes à tout inventer pour dissuader et diviser le présent mouvement de grève. Ajoutons à cela l’absence de justifications légales ou réglementaires à ces menaces, l’impact des différents rapports de force créés par les étudiant.e.s et même, dans certains cas, l’impossibilité concrète d’appliquer les représailles annoncées. Si nous prenons le cas hypothétique d’une mise en échec de tou.te.s les étudiant.e.s, imaginons quelques instants le fardeau bureaucratique que l’exécution de cette menace représenterait pour les écoles. Pour permettre la reprise des cours échoués, il deviendrait nécessaire de permettre le double des inscriptions à la session suivante, ce qui est difficile à concevoir. Souvenons-nous aussi qu’aucune session entière n’a été annulée après une grève étudiante, même celle de 2012, où les étudiant.e.s ont déserté les institutions pendant plusieurs mois.

Outre le milieu académique, la mise en échec de l’ensemble des stagiaires aurait des impacts importants dans les milieux de travail. Les premiers affectés sont sans aucun doute les employeurs de stagiaires qui devront se passer du travail de celles-ci. Ces employeurs, qui prennent des stagiaires en grand nombre, sont déjà en pénurie de main-d’oeuvre et attendent impatiemment la diplomation de ces dernier.ère.s pour les engager. Ces milieux, et leurs bénéficiaires, se verraient gravement touchés ne serait-ce que par une seule cohorte qui ne diplômerait pas. Cela pourrait résulter en un mécontentement généralisé chez les patient.e.s d’hôpitaux, les personnes fréquentant les milieux communautaires, les parents mécontents de la classe bondée où se retrouvent leurs enfants en raison du  manque d’enseignant.e.s, etc. S’ajoutent à cela les employeurs qui attendent le temps libéré des étudiant.e.s en saison estivale. En effet, la fin des cours et des stages signifie pour la grande majorité des étudiant.e.s une augmentation de leurs heures de travail pour un seul employeur ou pour plusieurs d’entre eux. Ils sont donc nombreux à compter sur cette force de travail souvent prête à accepter des conditions moindres de travail en raison de notre précarité, et  souhaitent tout autant que nos sessions se terminent à temps. Ainsi, non seulement l’application de menaces proférées par les administrations et les département est impossible, mais nos leviers de négociation sont importants, de par l’utilité du travail que les stagiaires et étudiant.e.s réalisent et l’impossibilité de faire échouer tout le monde en même temps.

Dans ce cas, pourquoi continuer à proférer des menaces si elles sont impossibles à appliquer? Pour nous faire peur! Parce que les administrations, les directions des cégeps et universités, les départements ont peur, et beaucoup plus que quiconque. Ils répondent par des menaces à notre menace, la plus grande de toutes : la grève générale illimitée. Bien qu’au fond, la «menace» de la grève pèse sur les structures plutôt que sur les étudiant.e.s et les stagiaires, divisé.e.s, nous demeurons de simples cas disciplinaires à régler de façon individuelle et isolée. Stagiaires, unissons-nous pour la grève générale illimitée, nous n’avons que des heures innombrables de travail gratuit à perdre!

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